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Fahrenheit 9/11

Sélection officielle - Compétition
USA


INDEPENDANCE DAY





«- Il s’agit de gagner beaucoup d’argent.»

La victime est La Maison Blanche. Un gros Ovni taggé Fox. Ou plutôt Michael Moore avec sa puissance de feu : le cinéma. Mais ne vous leurrez pas : le documentaire cible essentiellement le public américain, à la veille des élections. De la première image à la dernière phrase, la proie s’appelle George W. Bush. Et le clin d’œil grossier adressé aux électeurs américains est là pour virer l’usurpateur, celui qui a volé la Présidence à un certain Al Gore.
Fahrenheit 9/11 démarre à la perfection. Une montée de température qui peut atteindre des sommets. Moore résume les faits, joue les pédagogues et met en perspective l’histoire récente avérée (en citant les médias) et la parole donnée (contrebalançant les mensonges des uns par les témoignages des autres). Surtout, il met en scène. Son talent est toujours meilleur quand il utilise les armes du cinéma en abusant de son parti pris. Filmant Bush en un vague Adam Sandler, il transforme ses pantins en vedettes : les faucons de Washington, en séance de maquillage, prêts pour le show. Le brûlot politique devra sentir le soufre. C’est bien Moore versus Bush Jr. Pourtant, on sera déçu.
Car on aurait aimé un film au niveau du précédent, et donc l’équivalent du prologue. Moore ne montrera pas le 11 septembre. L’écran sera noir. Nous entendrons juste le chaos. Il veut prouver que la liberté sera elle aussi voilée de noir, en plein jour.
Car reconnaissons le formidable travail du Monsieur. Il pose les énigmes, installe le mystère, nous amuse avec ses montages parés pour Vidéo Gag. Moore maîtrise parfaitement la puissance du cinéma pour provoquer en nous les bonnes émotions. Quand il parle à notre intelligence, cela ne nous gêne pas. C'est-à-dire quand il argumente, qu’il pointe du doigt une coïncidence troublante ou une falsification gênante. Mais quand le film se vide de sa substance au profit de la seule propagande politique, ou pire d’une émotion complaisante, nous sommes piégés par ce diktat de l’image et du son.
Cette confusion tient aussi au propos diffus de son auteur. Car Moore commence avec une histoire – les liens entre les Bush et les Ben Laden – pour finir avec le conflit en Irak. A fortiori, il apparaît que le contestataire qu’il est n’a pas su choisir son film. Piégé par l’actualité (il y a un grand nombre d’images récentes issues de la télévision), il ne traite aucun de ses deux sujets en profondeur. « Américanocentriste », le propos est à l’image de la politique de Bush : on part d’un point A (le pétrole, l’argent, le terrorisme) pour arriver à un point B (la guerre en Irak). Plutôt que d’aller voir ce qui se passe ailleurs qu’à Bagdad, Moore préfère contre-attaquer en montrant l’autre face de la guerre. Si bien qu’il s’éparpille. Pire, il s’enlise en Irak comme l’armée s’embourbe là-bas. C’est regrettable car, outre la remarquable discrétion du documentariste, Fahrenheit 9/11 permet de comprendre le mobile du crime, et à qui il profite. De preuves en interrogations, la première heure nous révèle à quel point l’Amérique de Bush marche sur la tête et installe une forme de dictature en toute légalité. Grâce à son talent de mise en scène, il permet de sortir «les gens de l’ignorance».
Mais avec les défauts de ses qualités, le Moore, qui risque de se « bovéiser » s’il continue, joue trop sur la corde sensible. Il privilégie les larmes aux neurones. Les doutes devraient amener les débats. Ici, Moore joue le fameux bon sens; c'est bien filmé, et cela décrit parfaitement l’impuissance des uns et le climat de terreur pour les autres. Cela ne suffit pas à nous éclairer. Rien qu'on ne sache pas déjà si l'on est un peu informé.
Il brouille nos pistes avec cette Guerre d’Irak, qu’il survole politiquement, pour ne la placer que dans un registre personnel et patriotique. Certes, il remet en mémoire toutes les contradictions des élites. Mais quel besoin avait-il de s’attarder sur le conflit alors qu’il frôle un sujet en or : la répartition budgétaire entre la Défense et l’aide sociale, comme il avait tissé le lien entre les médias et la violence. Une liaison dangereuse qui va du recrutement de jeunes gars dans les banlieues à 50% de chômage à la boucherie sur fond de hard rock dans les rues de Bagdad. Là son cinéma atteint une limite : la portée politique et philosophique de son sujet a du mal à être montrée. Comment expliquer le rôle des puissants sur les pauvres et les ignorants en quelques minutes ? La hiérarchisation de la société ne peut se contenter d’un trublion, fut-il Moore. Surtout, que le bonhomme ne nous livre pas la personne miracle : pas de PDG de Nike, pas de Charlton Heston pour clouer le bec à la contestation. Il laisse la critique faire le job. Il a voulu montrer que l’immoralité engendrait l’immoralité. Point barre.
Ce décryptage inégal, parfois brillant, parfois compassionnel, nous fait spectateurs plus que témoins. Son sujet était si gros qu’il s’est laissé dépassé. Nous ne savons plus si c'était un documentaire sur l'argent des Bush ou sur la bêtise stratégique d'un Président.
Il a quand même valeur d’exister. On ne peut pas être contre. Mais regrettons tant de simplisme. Bien sûr, pour un Américain, l’effet sera différent. L’impact d’une bombe. Sans même voir les images. Juste en écoutant la rumeur.

vincy



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