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festival-cannes.com
Jean-Pierre Bacri sur EN
Agnès Jaoui sur EN

 

Comme une image (Comme une image)

Sélection officielle - Compétition
France / sortie le 22 septembre 2004


Amère gloire et beauté




« Il y a du cyanure dans la salle de bain si vous voulez ».

Après l’énÔrme succès du Goût des autres, nous attendions tous avec impatience le second film d’Agnès Jaoui. Ayant boudé son premier long-métrage, le Festival de Cannes se rattrape cette année en l’incluant dans sa sélection officielle. Un honneur pour se faire pardonner de ne pas avoir décelé l’importance du premier ? Peut-être, mais pas seulement. Puisque Comme une image est largement digne de figurer parmi les prétendants à la Palme d’Or 2004. Dans le même esprit que Le Goût des autres, il est à la fois plus riche, plus construit, plus mature. Bref, encore mieux. Une fois de plus, les Jabac ont écrit une petite merveille qu’Agnès Jaoui a portée à l’écran avec beaucoup de talent et de justesse. Justesse tous azimuts : caractères, sentiments, situations, mais aussi jeu des comédiens, filmage, montage…Tout est bon dans Comme une image et il n’y a rien à jeter.

Les personnages pour commencer. Agnès Jaoui filme une galerie de caractères admirable. Il y a d’abord Lolita, jeune fille mal dans sa peau qui ne trouve pas sa place dans la société parce qu’elle n’en a pas dans sa famille. Son poids et le fait que son père remarque à peine son existence font qu’elle se renferme dans une sorte de colère permanente (une « colère sur pieds » dira Etienne) et finalement sur elle-même. Ses doutes, doublés de l’impression que l’on s’intéresse à elle uniquement pour mieux se rapprocher de la célébrité paternelle, la rendent inaccessible et l’empêchent de s’ouvrir simplement aux autres.
Il y a aussi Etienne Cassard, son père, écrivain renommé et aveuglé par un nombril qui éclipse tout, de la souffrance de son entourage, de sa fille à sa femme, en passant par son assistant tête de turc. Ce personnage tragique (il ne se rend pas compte de son inhumanité) se révèle radicalement odieux comme rarement Jean-Pierre Bacri a pu en interpréter (ceci dit, on lui doit toujours des répliques d’une terrible drôlerie).
Et puis Pierre Miller qui doute de lui-même (il dit qu’il devrait marquer sa profession d’écrivain dans la rubrique « loisir ») et qui, lorsqu’il rencontre le succès, commence à changer. Et également Sylvia, sa femme, qui est finalement peut-être la seule à se rendre compte des petites lâchetés qu’elle commet.
Tous ont des failles qui font que ça coince entre eux. Sauf peut-être Karine et Sébastien (et ce n’est pas un hasard si Agnès Jaoui leur fait jouer ensemble une scène dans un café) qui sont finalement les seuls à être sains, sincères et à savoir concrètement ce qu’ils veulent. S’ils souffrent, c’est par rapport aux problèmes existentiels des autres : Karine, de ne pas être totalement acceptée, malgré ses efforts de gentillesse, par Etienne (rongé par son égocentrisme maladif) et par Lolita (minée par son mal-être), et Sébastien de buter contre le roc hermétique Lolita.

Avec tous ces personnages, Comme une image est un film choral d’une grande fluidité qui met en scène des situations et des petites ignominies quotidiennes largement répandues (et les Jabac n’ont pas leur pareil cinématographique pour les décrire). De l’homme qui critique la conduite de sa femme et qui, finalement, se trompe de route lorsqu’il prend le volant, à la professeur de chant qui ne s’intéresse à son élève que lorsqu’elle apprend qu’elle est la fille de quelqu’un de connu. Et puis il y a aussi le changement de comportement lié au succès naissant ou acquis. Pierre Miller, même s’il hésite à abandonner son vieil ami éditeur pour signer avec une plus grande maison d’édition (hésitation de forme pour se donner bonne conscience), les dés sont jetés et l’on sent bien qu’il a déjà changé de camp pour se ranger du côté d’Etienne Cassard. Qu’il marche déjà sur ses pas. Sa femme le sent bien aussi puisque peu à peu, elle prend conscience du côté abject de ce succès dont le parangon Cassard lui fait entrevoir ce que son mari deviendra. Touts ces petites horreurs sont montrées avec beaucoup de subtilité qui rend le film tout à fait attachant.
Certes, on pourra mettre le doigt sur une certaine caricature, mais il en faut un minimum pour parvenir à mettre en scène une telle maîtrise des caractères et des situations. Et puis aussi, peut-être aussi, sur une peinture d’un univers clos très intello-aisé. Mais ne parle-t-on pas mieux de ce que l’on connaît ?

Comme une image est un film d’une humanité touchante ponctué d’une grande drôlerie ; tout simplement irrésistible. Pour la seconde fois, Agnès Jaoui, en étant si proche de ses personnages et en soulignant si bien leurs souffrances, montre qu’elle a véritablement le goût des autres.

Laurence



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