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The Neon Demon

Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 08.06.2016


CECI EST MON CORPS





"Les gens croient ce qu'on leur dit."

Il faut savoir décoder le cinéma de Nicolas Winding Refn qui ne donne jamais au spectateur ce qu'il attend et surtout ne rate jamais une occasion de faire de la provocation, quitte à ce que ce soit parfaitement gratuit. Avec The neon Demon, il avance à visage découvert dès le générique glam et choc qui annonce immédiatement la tonalité du film. Le premier plan stylisé sur l'héroïne surmaquillée et maculée de sang, est même à la fois prophétique et moqueur, belle composition creuse que l'on imagine sur papier glacé pour vendre une paire de chaussures ou un parfum hors de prix. La musique, lancinante et peu complexe, est elle le contrepoint parfait pour entrer dans cet étonnant cauchemar éveillé.

Plus que l'intrigue ou les dialogues (parfois affligeants et souvent ennuyeux), ce sont les indices semés au fil des scènes qu'il faut collecter pour se faire une idée de ce que le cinéaste peut bien chercher à raconter. Par exemple, lorsqu'il fait remarquer à l'une des protagonistes "les gens croient ce qu'on leur dit", il suggère peu subtilement que le public, au lieu de prendre les images au pied de la lettre, devrait essayer de comprendre ce qu'il y a en dessous. Derrière cette évidence se cache son désir de questionner la crédulité du spectateur et sa volonté d'emboîter les niveaux de lecture. On ne peut pas dire que cela fonctionne sur la durée, mais alors qu'au premier degré, le film est insupportable de vacuité et de vanité, pris au second, il est au fond assez drôle. Qui peut en effet croire qu'il faut prendre au sérieux des platitudes du genre "la beauté véritable est le bien le plus précieux" ? Quant à la fin (bel exemple de grand guignol qui en fait des tonnes), elle est clairement là pour confirmer ce sentiment de fantasmagorie, voire de vaste blague potache.

Ce qui est sans doute le plus drôle, c'est que l'histoire racontée par le film semble être la métaphore du film lui-même : avec son esthétique de clip ultra-léché et ses beautiful héroïnes, le réalisateur donne une incarnation scrupuleuse au concept de beauté mêlée de superficialité qui est au centre du récit. Comme le personnage de Jesse, il semble vouer un culte à sa propre beauté (c'est-à dire à celle de ses images). Et lorsque la jeune fille se met à minauder devant son miroir, il fait exactement de même avec sa caméra. Le résultat final est à peu près identique : les deux finiront par se faire dévorer par leurs fans jaloux, dans un magnifique symbole christique et vampirique.

Mais tous deux ont aussi des raisons de se noyer dans leur propre beauté plastique : Elle Fanning est superbe, et certaines séquences comme celle de la boîte de nuit ou du défilé proposent des fulgurances formelles à couper le souffle. Dommage qu'elles finissent par être aussi superficielles et vides de sens que le parcours du personnage, qui se perçoit elle-même à travers des normes de beauté purement masculines. On aurait d'ailleurs aimé que le film s'extraie de l'éternelle vision masculine de la sexualité féminine. Il y a un vrai manque d'audace et de personnalité dans les scènes prétendument érotiques, ou même plus crues, qui flirtent à nouveau avec la parodie ratée. Nicolas Winding Refn en montre soit trop, soit pas assez, mais dans les deux cas, il rate copieusement sa représentation de l'homosexualité féminine et plus encore de la nécrophilie.

Mais là n'était évidemment pas son propos (si tant qu'il en avait véritablement un). Car avec The neon Demon, le cinéaste se rapproche de plus en plus de l'abstraction cinématographique, ou en tout cas d'un détachement affirmé vis à vis de toute notion d'intrigue et de scénario, au profit d'un trip sensoriel en forme de montagnes russes : tantôt dans une beauté sublime, tantôt dans la banalité ou le ridicule les plus consternants. On a donc toutes les raisons de ne pas adhérer à ce film repoussoir qui force trop sur l'esbroufe et pas assez sur l'ironie. Il n'en demeure pas moins impossible de ne pas être fasciné par le sillon que Winding Refn cherche à creuser. Le cinéaste n'a apparemment pas encore trouvé la forme définitive de son travail, mais le jour où il aura atteint l'équilibre entre ses audaces et ses outrances, on sera prêt à le suivre aussi loin qu'il le faudra dans l'excès et les expérimentations.

MpM



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