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Les empereurs du Fast Food (Fast Food Nation)

Sélection officielle - Compétition
USA


FOOD FRONTAL





«- Burger King et MacDonald’s se sont partagés les Télétubbies.»

Intéressant pamphlet que nous propose Richard Linklater, entre Super Size Me version fiction et Traffic côté bouffe. Et ici, ça se mange pas, c’est de la merde (dans tous les sens du terme). Malheureusement le film a un petit souci d’assemblage et de découpage, avec un sérieux coup de mou au milieu (heureusement la dernière demi-heure nous accroche). La recette n'est pas tout à fait au point, mais le steak est quand même cuit à point.
D’entrée de jeu le décor est planté : Mickey’s Burger, siège social avec vue sur les autoroutes, des milliers de restaurant clonés à l’identique, des familles « Ricorée » en clients heureux. Les arcanes d’un système industrio-alimentaire, avec jargon marketing pour justifier la surdose de chimique et la manipulation des masses, passionnent.
Cependant Linklater a construit un film sans colonne vertébrale réelle. Les personnages vont et viennent sans interagir, les guest stars ont de longs monologues école Tarantino, nous passons de l’enquête interne à la rébellion externe, sans vraiment tisser des liens entre les deux parties. Tout ce que l’on constate est l’impuissance de chacun, l’action semble vaine et la passivité paraît admise.
Fast Food Nation est cynique, caustique, cruel, tragique (humainement). Même si la règle n°1 est de ne pas tuer le client (ça peut handicaper la croissance). Le script se perd un peu dans tous ses propos, balançant de nombreux arguments (et contre-arguments) en oubliant parfois la dimension émotionnelle ou simplement dramatique. L’équation décideurs / fournisseurs / main d’œuvre s’avère finalement complexe : chacun voulant une part du rêve américain, qui serait prêt à dénoncer les illusions de cette utopie destructrice ?
Inégal, le film n’en touche pas moins sa cible : avec évidence on nous prend pour du bétail à manger de la merde de bétail (vous me suivez ?). Prêts à tout : payer le Burger le moins cher possible, se faire plus d’argent qu’au Mexique, malgré les risques, enrichir le Grand Capital. Le Système, le « Big Picture » comme on dit là-bas, est Roi. Cette société uniformisée (Wal-Mart) conduit à une forme d’aliénation : un peu comme ces bœufs et ces vaches qui refusent de sortir de leur enclos alors qu’une bande de jeunes veulent absolument leur mise en liberté. «Vous ne voulez pas être libres ?»
Peuple prisonnier d’un cercle vicieux. Le passage avec Willis (saisissant) est le coup de grâce : « 40000 tués sur les routes chaque année n’empêchent pas Detroit de fabriquer des voitures.» Il faut un accident du travail (et voir comment la compagnie s’assoit dessus) et une prise de conscience générationnelle pour que certains se réveillent. Dans cette ultime demi-heure, le film reprend du poil de la bête, même si Kinnear a du se perdre sur le chemin du retour (et que dire du rôle insignifiant et parasite de Arquette ?). Sous le regard innocent et horrifié de la jolie Moreno, nous visitons le Musée des horreurs, les abattoirs, atroce séquence, limite insoutenable, où la souffrance est telle que c’est à vous faire devenir végétarien.
Le film ne donne aucune réponse : il y aura toujours des Clandestins puisque les entreprises en ont besoin, des hamburgers en chaîne puisque trop cuits, notre corps ne risque rien, des dollars en pagaille puisque tout le monde cherche à se faire du fast fric.
Maladroit mais nécessaire, le film de Linklater a le mérite de nous montrer à quel point l’homme est devenu une machine remplaçable et dévalorisée, au(x) profit(s) d’un monstre invisible qui semble tout connaître de nos goûts, à moins que cela aussi, il ne le créé de toutes pièces. Fast Food Nation c’est un Big Mac, mais là y a quand même une dose de jus et de protéines suffisantes pour nous faire réfléchir.

V.



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