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Indigènes

Sélection officielle - Compétition
Algérie / sortie le 27.09.06


BEURS BLANCS RAGES





«- Il faut libérer la France de l’Occupation Allemande. Il faut laver le drapeau français avec notre sang ! »

Bouchareb signe assurément un film de guerre qui fera date. Dans le genre, sans égaler un Spielberg dans Il faut sauver le Soldat Ryan (auquel on pense immédiatement), il réussit parfaitement ce portrait d’hommes s’exilant de plus en plus loin de leurs terres vers une issue qu’on imagine fatale. Mais surtout, sans temps mort (ou juste de quoi nous reposer le temps de l’assaut final), il ne baisse pas la garde et maintient ses personnages dans le feu d’une action qui nous happe (même si l'on peut douter de la pertinence du choix de Jamel en soldat, peu crédible lors des combats). Le rythme soutenu, un scénario très (trop?) américanisé, une mise en scène efficace et un sujet méconnu, font d’Indigènes un film à grand spectacle qui ne renie jamais sa facette philanthropique.
Ces quatre fantassins (tous fantastiques) symbolisent avec évidence, parfois caricaturalement, les différents visages de ces colonisés qui sont tombés pour la France. Mais leurs nuances, leurs tourments nous accrochent et nous les rendent attachants. Touchants même puisque chacun a le droit, comme dans les anciens films de studios, a son moment de vérité existentielle. C’est pas l’Homme qui fait la guerre, c’est la guerre qui fait l’homme. Chaque comédien s’habille de son costume habituel, ce qui permettra une identification facile. La force du cinéaste est de n’avoir jamais enfermé ses personnages dans un registre monochrome. De même le film n’est jamais manichéen. Il n’y a pas de mépris, ni même de morale. Juste des faits, et une pensée qu’il faut remettre dans le contexte.
Indigènes, ainsi, raconte davantage les prémices de la décolonisation, d’une incompréhension entre l’Afrique et la France, bref les causes des conséquences contemporaines. Et ce sans discours didactique. Juste en montrant comment la France segmentait injustement, inégalement ses populations dans infanteries. Les linceuls ont beau être anonymes, cachant la couleur de la peau, il y avait des quotas, déjà, pour accéder à certains grades, il y avait des règles discriminatoires et humiliantes.
Le film s’ancre résolument dans nos consciences et nous envoie le reflet d’une Histoire oubliée. Alors nous pensons davantage à Capitaine Conan, et non pas à Ryan. Les libérateurs n’ont pas de couleurs de peau, et le tricolore est planté par un colonisé. L’armée française assume son cosmopolitisme. L’uniforme est là pour effacer les différences, la langue est un lien unificateur.
Cependant, Indigènes, oeuvre classique (trop sans doute) mais jamais complaisante, démontre aussi le dialogue difficile entre les peuples. La terre n’a pas la même odeur, même si elle se fait appeler patrie. Car Bouchareb filme les désarrois de ces visages qui vont à la boucherie mais aussi ces parcelles de territoires, vues du ciel (bel effet pour illustrer l’avancée du front), qui mériteraient tant de sang versé au creux de ses sillons. La France refuse certes de s’intégrer à ses colonies, mais l’inverse paraît tout aussi vrai. La seule chose qui les unit est cet appel du général De Gaulle, un élan de liberté, une utopie qui va au-delà d’Hitler.
Cela rend le drame d’autant plus magnifique. Cette Grande illusion (ici point de de pitreries british en guise de spectacle, mais un pas de deux de petits rats) montre à quel point nos cultures n’arrivaient pas à se lier parce que les Français ne le cherchaient pas.
Ces contradictions sont portées par deux personnages : celui de Bernard Blancan et de Sami Bouajila. Les deux sont la meilleure idée du film, le premier ayant un respect immense (mais honteux) pour les «bougnoules», le second étant porté par un idéal élevant l’Indigène au rang de patriote. Le face à face n’a rien de binaire et, du coup, nous emporte dans ce conflit sur fond de mélopées arabes. Autre singularité pour un film de ce genre, pas désagréable. Là où l’on entend d’habitude des accordéons. Comme Loach, Bouchareb teinte son film d’un propos social et politique. En revanche, contrairement à Loach, il préfère les faits, la dureté, la guerre dans son horreur. L’action est bien rendue. Une hécatombe sans chichis ni ralentis.
L’émotion est brute, juste véhiculée par un visage qui est abattu par tant de souffrances. Jamais en paix, d’ailleurs, puisque se prolongeant jusqu’à la fin. Peu importe la reconnaissance puisque de toute façon la nation a été mesquine.
Il est rare qu’un film de cette ampleur parle de notre passé avec une si belle justesse humaine, sans se cacher derrière un héroïsme de pacotille. Si le cinéma rend parfois les événements toc ou kitsch, ou trop lyrique, l’épilogue, très bref, cloue le bec à ceux qui ont oublié les méfaits de nos amnésies. On regarde les hommes tomber, et on réclame la fraternité.

V.



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