- David Lynch sur EN
 - Palme d'or 90
 

(C) 96-01 Ecran Noir

Mulholland Drive
USA
Sélection officielle (en compétition)
Projection: 16 Mai 2001
Sortie en salle : n.c.

Réalisation: David Lynch
Production: Les films Alain Sarde, StudioCanal, Asymmetrical Prod.
Scénario: David Lynch
Photo: Peter Demming
Montage: Mary Sweeney
Musique: Angelo Badalamenti
Durée: 146 mn
Naomi Watts (Betty, Diane)
Laura Elena Harring (Rita, Camilla)
Justin Theroux (Adam)
Ann Miller (Coco)
Et aussi Robert Forster
 
Une femme dans une limousine. Elle est brune et belle. Son chauffeur la menace d’un revolver. Mais deux voitures s’amusent à faire une course stupide et rapide sur Mulholland Drive. L’une d’elle percute la limo.
La femme arrive sur Sunset Boulevard, amochée légèrement. Amnésique. Elle occupe l’appartement d’une femme partie en voyage devant ses yeux. Elle ne la connaît pas. Arrive alors une charmante blondinette, toute fraîche, et qui n’est autre que la nièce de la propriétaire.
Ce n’est pas simplement la mémoire qu’il faut retrouver, c’est aussi la vérité. Entre les deux femmes, il y a une histoire d’amour, qui a commencé avant ou après l’accident, on ne sait pas encore.
 
 
Lynch est évidemment un habitué de la Croisette : Sa palme d’or pour Sailor et Lula (Wild at Heart) en fut la suprême récompense. Une Histoire vraie, son dernier film, a été présenté en 99 à Cannes.
Il a pris des acteurs relativement inconnus (mis à part la scène unique de Forster) pour ce nouveau film, qu’il a monté en même temps qu’il finalisait son site web (où il nous promet des films faits pour Internet).
Les deux actrices ont des airs de pin ups des années 50 : la blonde ressemble à Kidman, la brune à René Russo.
Mulholland Drive a souvent inspiré les romanciers et les scénaristes. Cette route montagnarde en plein Los Angeles est très longue, très sinueuse, et relativement dangereuse. Elle rejoint Hollywood aux canyons de Bel Air, par la crête. De là haut, vous pouvez admirer le centre ville de Los Angeles, les signes fameux d’Hollywood mais aussi les studios de la plupart des producteurs type Universal, Warner,... Route panoramique à deux voies qui n’est qu’un point de départ pour ce nouveau Lynch, qui devrait, comme d’habitude réjouir ses fans.
 
JUSTE UNE ILLUSION

"Silencio!"

Mulholland Drive prolonge davantage Twin Peaks et Lost Highway dans ses thèmes, sa forme et son hallucination lancinante que le précédent opus de Lynch, Une Histoire vraie.
On peut découper le film en deux parties. Près de deux heures sublimes avec un scénario solide, une histoire captivante, des intrigues multiples et une drôlerie réjouissante. Et puis une dernière demi heure où le cinéaste égare le spectateur avec ses fantasmes, désenvoûte notre charme pour nous perdre dans un univers d’interrogations post-projection, et finalement nous déçoit un peu en nous ayant promené sur une route en lacets, avec vue imprenable, qui ne conduit qu’à une impasse au bout d’un canyon.
Mais ne boudons pas le plaisir (et sa frustration), les deux parties sont liées, et sauvées, par une homogénéité artistique (musique, photo, ... le film est en tout point de vue excellent) et surtout une mise en scène extraordinaire. David Lynch est incontestablement un grand réalisateur ; chacun de ses plans, chacune de ses séquences n’existent que pour le bonheur d’avoir été réalisées. Si le scénario n’explique ou ne justifie pas ces scènes, le cinéastes, lui, crée un vrai désir de cinéma en les filmant. Certaines, pas loin des Frères Coen, frisent l’absurde et en deviennent comiques. Quatre séquences relèvent notre attention, de grands moments de cinéma: le meurtre du producteur raté, l’expresso servi au maffieu, le ranch et son cowboy, l’adultère de la femme d’Adam. Dans les trois cas, il aborde le surréalisme, l’humour, les genres cinématographiques. Dès le début, Lynch nous offre une ouverture anthologique, entre un jerk des fifties très cuivré et très coloré, façon pub Gap, et un accident de voiture surprenant dans un contexte crucial.

C’est un début. Il y aura un milieu, pas forcément de fin. Lynch détourne à loisir les conventions attendues ; avec une distorsion flagrante du temps, il nous envoie d’un univers inquiétant où les menaces sont planantes à une atmosphère irréelle où nos esprits sont dérangés par tant d’irrationalité. Dans cette ambiance décalée, ce Los Angeles peuplé de monstres théâtreux et de personnages fictifs, doucement, la folie lynchienne, son cadrage qui rend la réalité si proche du rêve (et du cauchemar), parodie avec noirceur les films hollywoodiens de type Scream ou Seven. Le soupçon d’esthétisme, le nuage d’intellectualisme en plus.
Au détour de chaque bizarrerie - on ne s’étonne même plus des étrangetés ou des scènes sans suite - le réalisateur nous dévie vers son propre itinéraire. On se croit dans une enquête policière avec Robert Forster ? Vous serez désappointés. Le film est une histoire d’amour, fusionnel, une réflexion sur l’amnésie et donc la mémoire, sur la transmission de savoir, sur le jeu et les faux semblants, sur les apparences, auxquelles il ne faut pas se fier. Nous sommes en Californie, un zoo à ciel ouvert.
Lynch utilise les mêmes ressort que dans Lost Highway : la brune, la bonde, ou encore l’échange de personnages par les actrices. Il perturbe les sens du spectateur en confondant les actrices. Rien ne se passe comme ce que vous prévoyez. Les excentriques ne sont là que pour meubler (parfois imparfaitement) notre imaginaire et donner des clés à un jeu de piste type Alice au pays des merveilles (sous LSD) dans une ville extravagante, aux relations humaines excessives. Si cette fin nous enlèbe cette part de jouissance tant souhaitée, on ne méprisera pas le bonheur d’avoir vu un film, certes complexe à comprendre, une sorte de Master mind audiovisuel, mais complètement dément, et donc marquant.

Avec une approche très simpliste de ses anges déçus (une blonde candide, frâiche, naïve, comme du bon lait du Midwest, et une brune sulfureuse, trop belle, "avagardnienne", de rouge et de noir), il nous emprisonne avec malice dans sa cage en verre, son asile, et nous questionne sur notre propre envie à voir un film. En cela, le film est interactif : vous êtes obligés d’en parler après et de reconstituer le puzzle vous-même. Cette reconnaissance de l’intelligence de son public est aussi une preuve de la maîtrise de son art par le cinéaste. On aime ou pas, on supportera cette manipulation ou on détestera cet absurde comportement, il est l’un des metteur en scène nord américain les plus brillants depuis 20 ans. Il sait filmer une scène d’amour lesbienne (dommage pour Corsini) comme une visite à un cowboy improbable et fantomatique. Ici le surréalisme n’est que dans les objets que l’on voit, pas les actes. Entre le temps rêvé et le temps réel, il y a une boîte de Pandore qui absorbe la mémoire et la conscience, qui échange les vies. Un McGuffin inventé pour faire passer son spectateur de l’état d’hypnose béate et ravie à celui d’un cerveau perplexe et mis à contribution. Tout cela n’est que magie et sensations. Il n’y a rien de vrai dans cette histoire. Juste des âmes perdues sur une route sans fin.

Vincy-