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La cordillère des songes (La Cordillera de los sueños)

Sélection officielle - Séances spéciales
France / sortie le 30.10.2019


NOSTALGIE DU TEMPS PERDU





La montagne a les réponses qui nous manquent.

Présenté à Cannes en séance spéciale, La Cordillère des songes arrive sur les écrans français dans un moment de tension extrême au Chili, alors que le gouvernement de Sebastian Pinera a répondu par la violence et la mise en place de l’état d’urgence aux manifestations populaires de masse réclamant une société plus égalitaire. Patricio Guzman, qui avec ce film clôt superbement sa trilogie entamée en 2010 avec Nostalgie de la lumière (qui explorait le désert d’Atacama) et complétée en 2015 avec Le Bouton de nacre (plutôt consacré à la Patagonie), poursuit ainsi son travail de mise en lumière et de documentation de l’Histoire de son pays, et notamment des années noires de la dictature, à un moment où cela semble plus nécessaire que jamais.

Au-delà de l’écho qu’il trouve dans l’actualité, le film est une réflexion puissante sur les réalités contrastées du Chili : réalités géographiques, d’abord, qui sont le point d’entrée du récit, puis réalités historiques et humaines. Patricio Guzman n’a en effet pas son pareil pour construire une oeuvre cohérente et limpide autour d’une déambulation mentale dont le point de départ peut être un détail (une goutte d’eau, un bouton de nacre) et aller jusqu’à englober l’univers. Parfois, et c’est le cas ici, on ne sait plus vraiment comment il parvient à imbriquer entre eux les différents éléments de son récit, mais cela n’a pas la moindre importance. On se laisse au contraire porter par ces éléments disparates qui mêlent réflexions géologiques sur la cordillère des Andes, véritable barrière qui isole le pays, témoignages divers, et souvenirs personnels, voire intimes, sur le propre vécu du réalisateur au moment du coup d’état de Pinochet et des premiers temps de la dictature.

On est notamment bouleversé par l’évocation du stade où furent enfermés tant de Chiliens soupçonnés d’être des opposants, mais aussi captivé par la rencontre avec l’un des protagonistes du film, Pablo Salas, qui a filmé le Chili pendant 37 ans, y compris pendant les années de dictature, reconstituant avec ses archives les années perdues du pays, et qui nous saisit en tissant un lien indélébile entre ce passé mal digéré (aujourd’hui encore, certains faits sont niés par les élites, tandis qu’une partie de la population ne veut plus entendre parler des années noires) et un présent qui, c’est d’autant plus flagrant aujourd’hui, demeure incandescent.

Patricio Guzman n’omet ainsi jamais de fustiger l’héritage mortifère du capitalisme et du néo-libéralisme imposés par Pinochet. Mais en parallèle, il ne cesse non plus d’interroger ce qui relie l’être humain à son environnement, à son passé et à ses semblables, fidèle à son souci de “confronter les hommes, le cosmos et la nature”. Une expérience poétique et fulgurante qui est autant une leçon d’histoire et de cinéma que d’humilité face au monde.

MpM



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