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Mektoub my love : Intermezzo

Sélection officielle - Compétition
France


ENTREZ DANS LA DANSE





« Arrête de regarder. Vis ! »

Avec le deuxième volet de sa trilogie Mektoub my love, Abdelatif Kechiche nous offre une parenthèse de cinéma pur, un Intermède, comme l’indique le titre, qui explore une fois encore les notions de durée et de transe au cinéma. Lorsqu’on avait laissé les personnages à la fin du premier chapitre, les enjeux étaient encore embryonnaires, et les décisions suspendues. Le soleil, l’alcool, la musique et l’amitié semblaient avoir formé autour de la petit bande un cocon protecteur lui permettant de vivre l’instant présent sans se soucier du lendemain.

Lorsqu’on les retrouve, c’est à peine plus tard dans la saison. Le film commence comme le précédent, par une rencontre sur la plage. Une nouvelle jeune fille rejoint la petite bande. L’histoire se répète. Puis, très vite, le récit bascule sur une soirée, puis une nuit, passée en boîte de nuit. Presque trois heures, sur les trois heures trente que dure le film, à danser et boire, s’engueuler parfois, se séduire souvent. A bouger son corps au rythme de la musique comme si sa vie en dépendait. A vivre intensément chaque seconde comme si plus rien d’autre n’existait.

Refusant toute concession au bien être du spectateur ou aux exigences du cinéma commercial, Kechiche filme cette expérience collective sur la durée, jouant sur la répétition des motifs et l’effet hypnotique de ces corps qui dansent en rythme. A un certain niveau du récit, on est totalement emporté par leurs mouvements, ondulations et déhanchements, qui mènent à une forme de transe communicative. On a conscience de vivre une expérience radicale mais captivante dans son désir de capter des sensations qui ne peuvent se mettre en mots. Ce moment où l’individu s’oublie dans la musique, n’étant plus que gestes et mouvements, sueur qui perle et peau qui vibre.


On pouvait faire confiance à Kechiche pour filmer ces corps à demi-nus, s’attardant presque obsessionnellement sur les fesses et les entrejambes des jeunes femmes, montrant encore et encore le mouvement perpétuel qui semble s’être emparé d’elles, les emportant loin d’elles-mêmes et de ce qui les entourent. Les plans, plutôt fixes, n’en finissent plus de se succéder, jusqu’à l’indigestion, et même au-delà. On se serait ainsi bien passé des dernières séquences de danse qui ne font que redire, parfois avec des plans identiques, ce que l’on avait aimé dans la première partie du film, sans rien y ajouter. On a le sentiment que le réalisateur n’a pas su doser son audace formelle. Ne parvenant pas à déterminer ce qui servait son film, et ce qui le boursouflait inutilement.

On peut aussi s’interroger sur la manière charnelle et presque voyeuse dont il filme ses personnages féminins, ne laissant rien secret de leur intimité. Certes, dans ce deuxième volet comme dans le premier, ce sont bien les femmes qui sont aux commandes. De leur avenir comme de leur sexualité. Ce sont elles qui décident qui elles aiment et comment. Mais leurs interprètes, elles, sont exposées, scrutées, et comme livrées en pâture à l’oeil de la caméra et du spectateur. Toute l’ambivalence du film (et du cinéaste) réside dans ce double mouvement, et atteint son apogée dans la seule scène de sexe du film, une séquence de cunnilingus de près de 20 minutes, mise en scène comme un combat douloureux et triste, qui met plus que littéralement à nu la comédienne, tout en la montrant maîtresse absolue de son plaisir.

Ce n’est évidemment pas une coïncidence si Kechiche écrit ce genre de rôles féminins extravertis et sensuels qui s’offrent complaisamment aux regards des hommes, et donc au sien. Malgré tout, on peut aussi louer la capacité du réalisateur à filmer la liberté et la jouissance en action. A réaffirmer la maîtrise que la femme a de son corps. A résister aux discours ambiants (religieux, faussement-féministes, politiques et sociologiques) sur ce qu’une femme est censée faire, porter ou dire. Plus largement, il faut saluer la capacité du réalisateur à affirmer sa propre liberté, en proposant un film presqu’exclusivement sensoriel qui s’abstrait largement des codes traditionnels de la narration pour expérimenter d’autres formes esthétiques.

MpM



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