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Nina Wu (Juo ren mi mi)

Certain Regard
/ sortie le 08.01.2020


DOULEURS ET GLOIRE





« Demandons-nous plutôt si c’est totalement gratuit ou nécessaire au film. »

Le cinéaste taïwanais Midi Z a choisi de s’emparer du phénomène #MeToo pour son nouveau film. En nous plongeant dans le quotidien d’une actrice en galère, qui obtient un rôle après de multiples compromissions, il fait le portrait d’une femmes maltraitée, abusée, humiliée et manipulées par des hommes sans respect pour leur corps et leur psyché.

Outre l’esthétique soignée du film, avec quelques plans magnifiques, le cinéaste s’amuse aussi avec toutes les possibilités qu’offre le cinéma pour mélanger le réel pas très joyeux de la comédienne et le tournage de cette production difficile. En mélangeant le faux et le vrai, le fantasme et les faits, Midi Z compose un puzzle dont la vue d’ensemble s’avère bien loin de ce qu’on pouvait imaginer. Et encore plus glaçante.

Ce n’est pas tant ce qu’il raconte qui importe dans ce récit non linéaire où certaines scènes ne trouvent leur explication que vers la fin. Le réalisateur veut faire le portrait d’une femme traumatisée, entre « douleur et gloire » comme dirait Almodovar, par ce qu’on lui a imposé pour accéder au statut de star.

Nina Wu est un film sur les traumas et les séquelles d’une femme qui ne sait plus comment digérer les violences infligées. Le prix est cher à payer. Il gâte même la saveur de la célébrité. Tel Icare qui se brûle en approchant du soleil, la jeune femme se crame (littéralement) dans les limbes de la folie.

Midi Z ne lésine pas sur les souffrances qu’elle encaisse, de cet amour impossible avec Kiki à la complicité de tous les hommes pour l’exploiter. Si le film est parfois confus et alambiqué, si certaines séquences s’emboîtent maladroitement, cela ne retire en rien sa maîtrise à décrire aussi bien le ressenti intérieur.

« Ils ne détruisent pas que mon corps. Ils détruisent mon âme. »

Incarné par Wu Ke-xi, qui a d’ailleurs co-écrit le scénario avec le réalisateur, le personnage est en lui-même détruit de bout en bout. L’actrice, qui semble avoir une palette de jeu infinie, réussit en un quart de seconde à changer d’humeur, à passer les cinq étapes de son rôle (allégorie de ce qu’elle vit puisqu’elle joue précisément un personnage qui traverse les mêmes émotions qu’elle). Ainsi elle exprime la confusion, le désespoir, la douleur, la prise de conscience, et enfin la libération. Dans le désordre. Le spectateur va en effet se trouver enfermer dans le même piège qu’elle : une chambre d’hôtel où la loi de la plus soumise va gagner, transformée en chienne puis en chair fraîche. « Tu t’es vraiment donnée » lui balance-t-on sans se soucier des dégâts causés. La règle du jeu serait finalement de donner sans recevoir.

La beauté et la perversité s’entremêlent avec une dose de fantastique (une sorte de double maléfique, pas inutile pour qu’elle puisse comprendre l’horreur qu’elle endure) pour traduire ces dommages collatéraux. Elle est envahie par une culpabilité insupportable. Hallucinations, sommeil pas tranquille, cauchemars répétés, elle se sent persécutée et fragile. Le cinéaste ne juge pas l’actrice : il accuse les profiteurs.

Plus élégant que distant, plus franc que métaphorique, le film déstabilise à l’image de ce personnage qui perd l’équilibre pour avoir compris trop tard les codes d’un milieu où elle n’est qu’une poupée livrée en pâture à ces prédateurs.

vincy



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