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Roubaix, une lumière

Sélection officielle - Compétition
France / sortie le 21.08.2019


CRIMES ET CHATIMENTS





"C’est toute mon enfance ici."

Si l’envie d’Arnaud Desplechin était de changer de style, on peut dire que le pari est largement réussi. On a du mal à reconnaître dans ce film d’enquête criminelle au départ assez classique (adapté du documentaire Roubaix, commissariat central, affaires courantes de Mosco Boucault, qui cherchait à rendre compte fidèlement de la vie de cette institution policière) la patte de celui qui excelle d’ordinaire à dépeindre les remous de l’âme et la complexité des relations humaines. Les ingrédients de son cinéma sont pourtant là, dissimulés sous d’autres formes. Passée la première heure du film, en mode « ambiance de commissariat de province », l’âme humaine y est même scrutée et dévoilée dans ce qu’elle peut avoir de plus déconcertant et énigmatique. Comment, pourquoi, devient-on criminel ?

La mise en scène, précise, et même clinique, est elle aussi au rendez-vous. Les scènes d’exposition sont courtes, elliptiques et ultra découpées. Puis lorsque la tension s’intensifie, le rythme change. Les séquences s’allongent, gagnent en puissance dramatique. Donnent brillamment à voir les subtilités de cette quête de vérité à laquelle se livrent les policiers, véritables accoucheurs des consciences qui se situent largement au-delà du bien et du mal. Le quatuor d’acteurs principaux se livre ainsi à un combat verbal filmé en gros plans, alternance de visages qui expriment tour à tour la peur et la colère, la tristesse et l’incompréhension. Dommage que tous ne soient pas toujours justes, tombant par moments dans le piège d’un jeu un peu paresseux. Il faut reconnaître à la décharge des acteurs que certains n’ont pas grand chose à jouer, comme Antoine Reinartz qui est un inspecteur fraîchement débarqué dans la région, dont on ne saura jamais vraiment quel est le traumatisme qui le pousse sans cesse à prier et écrire de longues lettres introspectives. Les personnages féminins sont quant à eux des archétypes assumés que les policiers résument à grand renfort de psychologie de comptoir, là où on aurait attendu un discours plus sociologique.

En parallèle, Arnaud Desplechin profite de l’intrigue policière pour parler de Roubaix et de ses habitants, qu’il a filmés dans de petits rôles. Il se livre même à une véritable déclaration d’amour à la ville à travers le personnage du commissaire Daoud qui y vit depuis l’enfance. On sent ces passages sincères, jolies parenthèses dans le quotidien parfois sordide du commissariat. Elles donnent pourtant l’impression que le film se cherche, hésitant entre un prisme quasi documentaire, concentré sur les différentes affaires traitées par les policiers, passant même de l’une à l’autre de manière hiératique, et un souffle plus romanesque cherchant à donner corps et chair aux faits réels.

L’affaire centrale qui occupe la deuxième partie du film peut d’ailleurs sembler anecdotique ou édifiante, selon le point de vue dont on se place. Anecdotique, parce qu’on a l’impression d’assister à une énième enquête criminelle dont sont si friandes les séries télévisées. Édifiante, en raison des circonstances du meurtre et de la progression terrible des aveux. Desplechin reste malgré tout dans un registre minimaliste qui n’essaye pas d’en mettre plein la vue, mais cherche plutôt l’émotion subtile. C’est à double tranchant : si certains spectateurs se trouveront bouleversés par le destin des personnages, cinématographiquement parlant on reste sur sa faim, trop à distance face à un récit que rien ne transcende jamais.

MpM



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