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Les hirondelles de Kaboul

Certain Regard
France / sortie le 04.09.2019


LES AILES DU DESIR





« Ne sommes-nous pas tous déjà morts depuis longtemps ?

Adaptation attendue du roman de Yasmina Khadra, Les hirondelles de Kaboul est une nouvelle démonstration des capacités du cinéma d’animation à s’emparer de sujets forts, sérieux ou profonds. Après Parvana en 2018, lui aussi adapté d’un roman, c’est donc à nouveau l’Afghanistan des Talibans qui est au centre de ce récit grave, clairement à destination d’un public adulte et adolescent. On y assiste dès les premières scènes à une lapidation dans les règles de l’art, puis à une plongée sans fard, sans même le secours de l’imaginaire comme c’était le cas dans Parvana, dans une société rongée par l’obscurantisme, l’hypocrisie et la bêtise.

On ne reviendra pas sur l’insoutenable loi des Talibans, qui oblige donc les femmes à se couvrir de la tête aux pieds (avec le désormais célèbre et si cinématographique tchadri bleu), leur interdit de sortir seules ou même porter des chaussures blanches (trop immaculées pour leurs pieds de pécheresses ?), multiplie les condamnations à mort, et fait régner la terreur sur le pays. Après la lapidation, on verra ainsi une séquence de pure humiliation (le personnage féminin Zunaira contrainte d’attendre contre un mur que son mari sorte de la Mosquée où il a été envoyé pour se laver du pêché d’avoir ri), puis une diatribe charmante et enjouée sur l’infériorité crasse des femmes, ces êtres soumis et interchangeables auxquels on ne doit jamais se sentir redevable.


 Hormis pour ceux qui font appliquer ces lois absurdes (et qui en profitent pour fréquenter tranquillement les maisons closes et écouter de la musique interdite), les hommes ne sont guère mieux lotis, qui doivent eux-aussi se soumettre à l’arbitraire et au joug de la religion et surtout du totalitarisme taliban. Il y a donc dans le film une atmosphère anxiogène qui contamine indifféremment les sphères publiques et privées de l’existence. Parmi les personnages principaux, aucun n’est réellement heureux. Pire, aucun n’a véritablement l’espoir d’un avenir meilleur.

C’est donc un récit déchirant que livrait le roman de Yasmina Khadra en 2002, et il faut bien reconnaître qu’il perd une partie de sa force dans cette adaptation que l’on sent un peu trop pensée pour séduire un vaste public. Les dialogues, notamment, y semblent souvent sur-explicatifs, et donc trop lourds pour ne pas être didactiques. Les rebondissements sont aussi trop convenus, voire attendus. Zabou Breitman, qui signe la co-réalisation et une partie du scénario, est tombée dans le piège de l’émotion facile et des effets outrés là où la force de l’intrigue se suffisait pourtant à elle-même. La musique est à ce titre presque insupportable, qui vient systématiquement souligner les effets, et inciter le spectateur à ressentir la tristesse ou le désespoir des personnages. On atteint une forme d’apogée dans la maladresse lorsque, pour la scène des exécutions dans le stade, des flopées de violons envahissent la bande-son et viennent rajouter artificiellement de l’émotion à un passage qui était, en soi, bouleversant et terrible.

Cela va de pair avec une narration parfois schématique dans ses ressorts dramatiques. Les sentiments d'Atiq envers Zunaira ne sont par exemple jamais clairement définis, si bien quon ne sait pas trop s'il la sauve juste parce qu'elle est jeune ou jolie, ou parce qu'il est sincèrement touché par l'injustice qui la frappe. Les femmes restent d'ailleurs très en retrait du récit, cantonnées aux rôles de victimes ou de sacrifiées. Ce sont les points de vue masculins qui priment, à l'image de ce plan gênant (pur instant de male glaze) où l’on voit en caméra subjective Zunaira étendue et dénuée, offerte au regard du vieil homme. Dommage pour un film qui se veut une dénonciation des inégalités entre hommes et femmes...

D'autant que malgré ces réserves, le film tient esthétiquement une partie de ses promesses, surtout dans ses très beaux plans larges sur la ville, qui est esquissée à grands traits, dans des teintes désaturées. Les décors de manière générale sont d’une grande simplicité, permettant aux personnages d’occuper le premier plan, et d’être au centre de la narration. Malgré, ou peut-être en raison de leurs défauts, on a envie de se laisser emporter par ces êtres fragiles et archétypaux auxquels le film finit par redonner une forme d’espoir. Même si la fin diffère en partie de celle du roman, il demeure au fond un hymne à la libération des consciences et à la liberté pour tous, hommes comme femmes.

MpM



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