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Le jeune Ahmed

Sélection officielle - Compétition
Belgique / sortie le 22.05.2019


LE SILENCE DU GAMIN INCONNU





« Un vrai musulman ne sert pas la main d’une femme.  »

On ne cachera pas notre étonnement devant le nouveau film des frères Dardenne, qui construisent depuis les années 90 une oeuvre humaniste tentant de porter sur le monde un regard bienveillant et juste. On comprend que le duo ait eu envie de se confronter à la question éminemment brûlante du terrorisme et de la radicalisation religieuse. Mais parmi toutes les manières possibles d’aborder cette question, pourquoi avoir choisi de mettre en scène un personnage monolithique et manichéen, que rien ne vient jamais ni nuancer, ni expliquer, et que rien ne parvient à ébranler dans sa vision étroite de l’Islam ? Pourquoi avoir choisi d’aller dans le sens de la peur et du repli sur soi, mais aussi de la facilité, en écrivant un personnage unidimensionnel qui ne va jamais plus loin que la caricature la plus basique ?

C’est autant plus paradoxal que la manière dont le film présente le personnage donne l’impression qu’il relève de la psychiatrie plutôt que de la justice, souffrant d’une obsession irrépressible et quasi compulsive envers sa professeure. Or cet aspect n’entre jamais en ligne de compte dans le récit. On est ainsi face à un jeune homme extrêmement ambivalent, aux motivations profondes variées et complexes, et qui n’est pourtant réduit tout au long du film qu’à son fanatisme religieux. Cette manière de ne caractériser le personnage que par ce prisme particulier semble profondément malhonnête de la part des frères Dardenne, qui de ce fait nient toute complexité au jeune homme. Ahmed apparaît ainsi comme un archétype de terroriste tout droit sorti d’un reportage de BFM TV, déshumanisé et robotique, aussi dénué d’émotions (hormis sa colère quand on l’empêche de prier, ou face à ceux qu’il juge mécréants ou apostats), comme s’il avait subi un lavage de cerveau.

Avec Le jeune Ahmed, c’est comme si le cinéma très stéréotypé des Dardenne atteignait véritablement ses limites. En utilisant la même construction que pour la plupart de leurs films (exposition rapide - et donc superficielle - d’une question morale, différentes étapes ressemblant à un chemin de croix aidant le personnage à évoluer, rédemption sacrificielle), ils se fourvoient dans un film vain qui n’a au fond pas grand chose à dire, mais que l’on peut facilement interpréter comme la démonstration du fait que le danger est partout, que tout musulman peut se transformer en assassin (sans raison apparente), et qu’il n’existe aucune solution pour y remédier. Que ni le travail psychologique, ni le contact avec la réalité concrète, ni la bienveillance, ni la justice, ni même l’amour, ne peuvent détourner un jeune homme embrigadé de son chemin criminel. Qu’il n’y donc aucun espoir, si ce n’est celui de la mort, face à laquelle (idéologie judéo-chrétienne oblige) le pardon et la rédemption sont in extremis possibles.

Au mieux, le message du film est d’une incommensurable maladresse. Au pire, cela relève d’une idéologie douteuse et dangereuse, dont on n’avait guère besoin en ces temps de triomphe des idées d’extrême-droite. Dans les deux cas, on n’est pas sûr de comprendre ce que les frères Dardenne ont exactement cherché à dire sur le question extraordinairement complexe de la radicalisation religieuse, ni même à quoi peut bien servir le film, à part à renforcer les peurs, les préjugés et les idéologies nauséabondes qui, elles aussi, tuent. En voyant deux sexagénaires blancs et chrétiens avouer à la face du monde leur angoisse et leur sentiment d’impuissance face une menace qui leur semble générale, on ne peut s’empêcher de penser aux 51 morts et 49 blessés des massacres de Christchurch, commis par un extrémiste néozélandais blanc adepte de la théorie du grand remplacement et nourrissant une haine farouche envers l’Islam et ses pratiquants.

MpM



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