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Un couteau dans le coeur

Sélection officielle - Compétition
France / sortie le 27.06.2018


FATALE IDYLLE





«- J’ai le cœur sec de toi. »

Comme son nom l’indique, Un couteau dans le cœur est un film romantique. Malgré ses artifices, son mélange de genres – polar, parodie de porno, comédie, horreur light… - tout le film repose sur deux histoires d’amour absolu, de ceux qui hantent et restent inoubliables. Un amour qui dévore et ronge de l’intérieur ceux qui n’ont pas pu ou pas sur le garder en vie. Pour l’un, cela le conduit aux crimes les plus atroces, mix de sexe interdit et de meurtre violent. Pour l’autre, cela l’entraîne dans une alcoolémie non contrôlée et une possessivité agressive.

Yann Gonzalez semble jouer avec le cinéma tant sa mise en scène s’aventure dans un dédale ludique où références et influences, codes et pastiches s’intègrent dans son univers ultra-stylisé et survitaminé (parfois en overdose). Dans cette histoire où Eros et Thanatos s’accouplent dans toutes les positions, le cinéaste ne craint pas les excès de théâtralité et d’effets visuels. Néons et skai noir, slip de coton et cuir, objets et meubles vintage, l’univers nous ramène dans la fin des années 1970. Ce film voyeuriste est un trip à une époque révolue : le sida n’existait pas et l’homosexualité était encore pénalisée. A la recherche d’un temps perdu…

Les dialogues parfois littéraires ne boudent pas un humour souvent décalé (« Mère de famille le jour, tueuse invertie la nuit, c’est de plus en plus répandu »). Vanessa Paradis, impeccable en femme sombrant dans la dépression amoureuse et voyant le sol s’écrouler sous ses pieds, n’a pas son pareil pour les formuler quand ils ont la saveur de ceux d’un Michel Audiard.

Sexe, fric, alcool, drogue : cet objet d’art visuel très identifié s’appuie sur elle pour ne pas tomber dans les creux du scénario. Tout le casting autour (de Maury et Moran aux beaux mecs à foison, en passant par un retour inattendu et magnifique de Romane Bohringer) l’illumine même dans ses moments les plus sombres. Car au fil de cette plongée flashy et noire dans un cauchemar endiablé, le récit divague par moments. Pas forcément pour nous déplaisir, notamment quand il fait le portrait du milieu gay et lesbien de l’époque, avec ses cabarets interlopes et ses boîtes de nuit cachées, c’est à dire en célébrant la fête tout en faisant roder la mort.

Tragédie sacrificielle, Un couteau dans le cœur souffre en fait de vouloir rendre trop d’hommages à la fois. En prenant un scénario de série Z, digne d’un porno, et en y distillant les songes d’amours passés, le cinéaste a réalisé un film aussi « barré » que ceux de son héroïne. Sa proposition « radicale » dans le cinéma français est salvatrice dans un environnement de plus en plus formaté. Certes c’est déséquilibré. Il y a même des gros coups de mou et un rythme qui ne parvient pas à trouver son tempo.
Mais c’est dans ce lien - entre l’intrigue d’Un couteau dans le cœur et les histoires des films pornos gays que Vanessa Paradis imagine – qu’il faut voir l’envie de cinéma du réalisateur. C’est parce qu’il n’a pas conscience de son inconscient que son personnage de productrice commet autant d’erreurs et se met tant en danger.

Pressentiments, intuitions, lignes de la main, oiseaux de présage, superstitions, horoscopes… tous ces signes « peu cartésiens » que l’on devrait écouter ou savoir lire. Sans dévoiler la fin, le cinéma, ici, n’invente rien et ne fait que transformer la réalité. Yann Gonzalez nous incite et nous invite à croire en nos rêves et aux rêveurs (comme le montre le poster d’un film de Bresson) : ce sont eux qui détiennent les clés d’un monde mystérieux où l’homme se met à nu et s’abandonne à ses pulsions. Un monde que le cinéma peut magnifier, comme ce générique de fin qui nous convie dans un Eden immaculé.

vincy



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