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Makala

Semaine critique - Films en sélection
France / sortie le 06.12.2017


L’ODYSSEE





"Tu dois payer 2000 francs pour ton charbon. Si tu paies pas, tu restes ici."

En 2012, on découvrait Bovines, ou la vraie vie des vaches, le premier film d’Emmanuel Gras, dont le titre parle par lui-même. Cinq ans plus tard, il est en compétition à Cannes, section Semaine de la Critique, et remporte le Grand prix avec un autre documentaire saisissant tourné en République du Congo et intitulé Makala, un terme swahili qui signifie charbon. Kabwita, le personnage principal et quasi unique, est un Congolais qui aspire à un avenir meilleur pour sa famille. Alors il fabrique du charbon de bois, le charge sur son vélo, et le transporte à des dizaines de kilomètres de chez lui pour le vendre. Emmanuel Gras, lui, le suit avec sa caméra, et fait de son éprouvante expédition une épopée héroïque et sublime où s’entremêlent la bravoure physique et le voyage spirituel.

Dès les premières images, on est conquis, happé par la force de cet homme qui marche avec détermination dans la végétation sauvage. On entend le bruissement de ses pas, le sifflement du vent dans les arbustes, puis le craquement sec de la hache qui s’abat, encore et encore, sur l’arbre à abattre. Nous voilà conviés à une saga minimaliste qui nous hypnotise en même temps qu’elle nous captive. Fidèle à sa vocation purement documentaire, Makala répond aux questions basiques que l’on se pose : qui est cet homme ? que fait-il ? Combien vaut le fruit de son travail ? Quelle satisfaction cela lui apporte-t-il ? Puis, à seuls renforts d’images, il induit d’autres questions moins aisées à formuler, et auxquelles il se garde bien de répondre. On pourrait les traduire par : Quel but poursuivons-nous ? A quoi servent nos efforts ? De quoi est fait le destin d’un individu ?

Des interrogations existentielles, oui, bercées par un thème musical entêtant et la force des plans inouïs que réussit à capter le réalisateur : un vaste feu qui illumine la nuit, la poussière qui rend l’atmosphère d’une blancheur presque surnaturelle, ce vélo surchargé de sacs qui avance dans la quasi obscurité… Il transcende ainsi un sujet trivial qui aurait pu mener à un propos éminemment social (en République du Congo, explique-t-il, les gens passent leur temps à transporter des choses d’un endroit à l’autre, de préférence à pied, ou en vélo), en une réflexion quasi métaphysique et évidemment universelle sur le sens de la vie. Mais il le fait à sa manière, avec un art du montage qui privilégie la retenue et le non-dit, montrant la réalité du périple de Kabwita, filmant au passage ses yeux et son corps épuisés, et laissant le spectateur remplir les creux. On a rarement eu autant l’impression de voir à l’écran une allégorie de la destinée humaine, histoire atemporelle de l’Humanité qui lutte et espère, par foi, par nécessité et par force de conviction.

MpM



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