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Nos années folles

Sélection officielle - Séances spéciales
France / sortie le 13.09.2017


LE BAL D’UN HOMME PERDU





«- Je vais vous parler d’homme à homme, enfin si je peux dire. »

Même si l’histoire est vraie, André Téchiné a cherché à la transformer en tableau surréaliste. Nos années folles est une histoire d’un autre temps. Mais pour le réalisateur, cela lui permet de continue d’explorer l’ambivalence des sentiments, la féminité des hommes, l’amour en marge. Paul/Suzanne n’embrasse pas. Son corps est le lieu même du crime. Son esprit est égaré. La guerre l’a métamorphosé. Il n’en peut plus de ses blessures. Déjà sa chair est abimée. Déserteur, il doit se cacher. Dans les apparences d’une femme : il se travestit. Puis se prostitue. C’est dans cette partie là que le film est le plus séduisant. L’homme se plait en femme. Quand il sera amnistié, le retour au masculin ne sera pas possible. Alcoolique et violent, il vire dans une forme de schizophrénie aliénante qui causera sa perte. Un bel homme hétéro, travesti, qui se vend aux hommes invertis… Cela méritait peut-être un drame plus ténu, plus profond.

Mais - par manque de moyens ? par diktat d’un récit trop linéaire ? – en choisissant une forme esthétique et narrative assez classique, mal aidée par un montage un peu fainéant, Téchiné nous déroule une belle histoire, bien interprétée (Deladonchamps et Sallette forment un couple séduisants), qui ne parvient jamais à nous toucher. A trop vouloir rendre cette histoire allégorique, il ne traduit jamais la folie intérieure ni l’esprit fantasque de l’époque.La vie clandestine, dans l’ombre, de Paul/Suzanne est sans aucun doute l’aspect le plus fascinant de Nos années folles.
Cette origine de la culture « Queer » est si passionnante qu’on est frustré de voir Téchiné prendre tant de pudeurs face à un sujet si peu filmé par le 7e art. Hélas, passant de la guerre folle aux années folles, du déchaînement meurtrier à la débauche libératrice, partouzes mondaines inclues, il ne réussit pas à nous convaincre avec le glissement vers la tragédie intime. Plus à l’aise avec la confusion des genres et des identités, il nous amène vers un épilogue qui aurait du nous bouleverser, nous choquer. Au lieu de cela, l’acte final, le clash inévitable, semble est assez plat pour ne pas dire bancal. Sans le talent des acteurs, nous n’aurions sans doute rien ressenti.

« - Tu m’aimes comme je suis. Mais je ne suis pas comme je suis. »

Nos années folles est une histoire de libération. Se libérer de son corps, de son éducation, de son genre, de la guerre, des codes de la société, et bien entendu de sa folie. La transcendance n’est jamais palpable malheureusement. Le film est une belle exploration, qui trouve ses piliers les plus solides dans une grande histoire d’amour et de sacrifice, vite fragilisée par ses faiblesses : un manque de temps pour approfondir le sujet, une volonté de trop signifier les tourments, ou même un scénario qui enchaîne les étapes et rend tout trop superficiel, artificiel parfois.

Esthétiquement, le film est beau à regarder. Aucune faute de goût. Historiquement, il est passionnant. Ce fait divers sensationnel et enfoui dans nos archives trouve d’ailleurs ses plus beaux moments dans les séquences théâtrales, allégoriques, où l’homme devient bête de foire,où le banni trouve un peu de gloire. On regrette alors terriblement que le réalisateur ne soit pas sorti des contraintes d’un récit inspiré du réel, pour le travestir en un hymne au faux-semblant.
A la manière d’un Xavier Giannoli avec sa Marguerite, qui se détachait de l’histoire de Florence Foster Jenkins (racontée par Hollywood de manière beaucoup plus fade) pour s’approprier le matériau et en faire une œuvre personnelle sur la création artistique. Nos années folles apparaît alors presque kitsch. Comme un téléfilm de prestige qui s’autorise parfois des élans de cinéma mais s’oblige toujours à tout expliquer, à tout montrer frontalement. Sans laisser place au suggestif, à l’imaginaire, à l’inconscient. On a connu Téchiné plus audacieux, moins didactique, moins classique.

Cependant, assurément, cette « garçonne » et cette « assassine », piégé(e)s dans leur passion mortifère, loin de la folie annoncée, restent de formidables personnages « de fiction », de ceux qui nous hantent longtemps tant leur humanité et leur amour nous touchent naturellement, loin de la mise en scène distante d’un film qui aurait pu, du être plus extravagant et moins sage.

vincy



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