39-98 | 99 | 00 | 01 | 02 | 03 | 04 | 05 | 06 | 07 | 08 | 09 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19


 
 
Choix du public :  
 
Nombre de votes : 19
 












 
Partager    twitter



festival-cannes.com

 

Petit paysan

Semaine critique - Séances spéciales
France / sortie le 30.08.2017


AMOUR VACHE





« Depuis quand travailler c’est un handicap pour se bourrer la gueule ? »

Quelle belle surprise que ce Petit paysan conçu comme un thriller agricole, et qui est si précisément ancré dans le milieu qu’il décrit qu’il en donne à voir tous les enjeux sans jamais paraître pédagogique ! L’ambiguïté du travail d’éleveur est ainsi perceptible dans la relation que le personnage a avec ses vaches, et qui est résumé dans l’impeccable séance d’ouverture. Elles l’obsèdent, jusqu’à envahir sa sphère intime, et même son espace mental (sa chambre à coucher, ses rêves), mais elles le rendent également heureux et fier (lorsqu’il prend soin du petit veau ou découvre le classement des meilleurs producteurs laitiers de la région). Il les aime, et en même temps il les exploite, comme de nombreux gestes, filmés avec un style quasi documentaire, le révèlent peu à peu. Il y a forcément une ambivalence dans cette relation si particulière, et Hubert CHarruel (lui-même fils d’éleveur) la capte avec simplicité et tendresse, évitant tous les pièges du discours militant ou au contraire de l’angélisme béat.

Une fois planté ce décor en lui-même captivant (et pas si souvent montré au cinéma, malgré de nombreuses tentatives), le film s’oriente vers une ambiance plus anxiogène qui lui donne des apparences de polar. Le réalisateur utilise d’ailleurs les codes du genre : scènes courtes, sens du montage, utilisation brillante des ellipses… Cela donne au film un rythme intense, une sensation que tout peut basculer à tout instant sans que l’on sache réellement d’où viendra le danger. Pour accompagner cette partition tendue, le cinéaste joue le contrepoint avec un scénario plein d’humour et des répliques au cordeau. Il faut d’ailleurs saluer la finesse d’écriture du film qui mêle le pur divertissement aux problématiques et aux enjeux bien réels des conditions de travail des éleveurs et des pandémies. On est clairement face à un grand film populaire, intelligent et accessible, qui ne prend ni ses spectateurs, ni ses personnages pour des idiots.

Swann Arlaud est une fois de plus épatant en homme acculé par la fatalité, déchiré entre ce qui est bien et ce qui est juste, prêt à tout pour sauvegarder ce qui représente non pas seulement un moyen de subsistance, mais tout un mode de vie. Son parcours, du cauchemar symbolique sur les vaches envahissantes et quasi toutes puissantes à l’acceptation du renoncement, est un modèle de dignité et de retenue. Il forme avec Sara Giraudeau un très beau duo de cinéma, frère et soeur à la fois complices et antagonistes qui n’hésitent pas à se parler avec franchise et parfois cruauté, jusqu’au bouleversant face à face final. Ce n’était pas forcément gagné de nous faire à la fois rire, frémir et pleurer devant un thriller bovin et rural, et pourtant toute la palette d’émotions est réunie sans en faire des tonnes. Le travail de Hubert Charuel sur le hors champ et le découpage des plans (notamment dans les séquences les plus violentes) est à ce titre admirable, à la fois expressif et subtil, dépourvu de voyeurisme mais pas de tension dramatique. Tout le film est à l’avenant, captivant et prenant, et surtout d’une incroyable justesse jusque dans les rôles les plus secondaires. Une petite merveille dans le flot inégal des sorties hebdomadaires formatées.

MpM



(c) ECRAN NOIR 1996-2024