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Gabriel et la montagne ( Gabriel e a Montanha)

Semaine critique - Films en sélection
Brésil / sortie le 30.08.2017


FAIM DE VOYAGE





« Je suis pas un touriste ! »

Présenté et récompensé à la Semaine de la Critique 2017, Gabriel et la montagne est une oeuvre forte et marquante inspirée de faits réels (Gabriel Buchmann était un ami de Fellipe Barbosa, le réalisateur) et pensée comme le portrait morcelé mais édifiant d’un personnage atypique et singulier. La construction en flashback casse tout suspense : on sait très vite que le destin de Gabriel sera tragique. En revanche, le chapitrage et l’approche très documentaire teintent le film d’une dimension quasi policière, non pas pour trouver qui l’a tué, mais plutôt pour tenter de comprendre a posteriori qui il était réellement.

On découvre par petites touches les différentes facettes de ce jeune Brésilien voyageur qui traverse l’Afrique au pas de course, son appétit dévorant de la vie et son insouciance en bandoulière. Fellipe Barbosa mêle ainsi les témoignages face caméra de ceux qui l’ont connu (et qui jouent leur propre rôle à l’écran), les scènes de fiction qui reconstituent des moments de son voyage, des extraits de lettres… L’image qui se forme peu à peu est celle d’un homme extrêmement ambivalent, à la fois agaçant et touchant, désarmant de naturel et tyrannique, ouvert aux autres et égoïste.

Plus on avance dans le récit, plus ses contradictions apparaissent et plus l’idée que l’on se faisait de lui s’effrite. Le cinéaste n’est ni dans le panégyrique un peu béat, ni dans la critique culturelle. Son regard reste perpétuellement à la bonne distance, et pourtant c’est comme si les éléments à charge s’accumulaient contre Gabriel, surtout dans la dernière partie du film. Son approche très humaine donne l’impression d’être une simple posture, sa curiosité à l’égard des peuples et des lieux qu’il croise semble seulement de façade. Cette ambiguïté renvoie le spectateur à son propre comportement de voyageur, incorrigible touriste qui s’ignore, ou qui en tout cas refuse de l’être. Gabriel devient le reflet de notre mauvaise conscience d’Occidental face aux modes de vie radicalement différents dans des lieux plus pauvres ou plus traditionnels.

C’est qu’il y a au coeur de l’attitude antipathique du jeune homme un incompressible dilemme. Lui voudrait être cet homme simple qui se lie avec les habitants du pays et vit comme eux, de la manière le plus simple et la plus sincère. C’est d’ailleurs ainsi qu’on le découvre dans les premières séquences du film. Mais il y a malgré tout, tapis au fond de lui, des réflexes de classe qui ressurgissent, un égoïsme spontané, l’habitude d’être servi et de commander. Gabriel est un jeune homme cultivé, issu d’une classe aisé, promis à un brillant avenir, et quels que soient ses efforts, quelle que soit sa bonne volonté, il ne peut échapper complètement à cet héritage.

Cette contradiction, que le film suggère brillamment par petites bribes, et notamment au travers du personnage de la petite amie, est le secret honteux de Gabriel, celui-là même qui le conduit à fuir toujours plus loin, toujours plus vite. Mais c’est aussi le lot de tout être humain déchiré entre ce qu’il croit juste (partage, respect, fraternité…) et ce qu’il pratique au quotidien, avec plus ou moins de concessions et d’accrocs au contrat moral passé avec lui-même. Ce que l’on trouvait si désagréable chez Gabriel, c’est au fond ce qui le rend si humain, c’est-à-dire imparfait, pétri d’idéaux qu’il ne peut respecter. Pas parce qu’il manque de sincérité, mais parce qu’il s’agit d’une tâche colossale. C’est alors comme si le personnage devenait une allégorie de l’incontournable fossé entre la théorie (idéale) et la réalité, à la fois plus contraignante et plus terre à terre. D’un destin a priori intime et personnel, le réalisateur brésilien parvient ainsi à faire un récit initiatique universel qui renvoie chacun à ses propres contradictions. Symboliquement, la fin tragique ne peut qu’être une mise en garde à tenter de réconcilier les deux aspects avant qu’ils ne nous conduisent (individuellement, et par extension en tant qu’Humanité toute entière) à une perte certaine.

MpM



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