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AvA

Semaine critique - Films en sélection
France / sortie le 21.06.2017


CET OBSCUR OBJET DE DESIR





« Je voudrais qu’il soit mort. Il nous a gâché nos vacances. »

En apparence, le premier long métrage de Léa Mysius pourrait être un énième film initiatique sur une adolescente qui profite de l’été pour connaître ses premiers émois amoureux. Mais la séquence d’ouverture, baignée de soleil, annonce immédiatement qu’il ne faut justement pas se fier aux apparences. L’image est magnifique, paisible, joyeuse, et pourtant une musique trépidante renverse les perceptions. Elle accompagne un gros chien noir qui fait irruption dans la scène et tranche parmi les couleurs vives des maillots de bain, de la plage et de la mer. Quelque chose couve, une menace plane. Un sentiment d’oppression envahit le spectateur en même temps que l’héroïne, arrachée au sommeil par l’animal. On comprendra deux scènes plus tard d’où vient cette sensation. Pour l’héroïne, l’horizon, comme l’avenir, se rétrécit à vue d’oeil. Le péril est celui d’une obscurité croissante, qui frappe le personnage et donc métaphoriquement l’époque et le spectateur. Dès lors le film avancera ainsi, suivant un rythme syncopé.

Cette construction faussement déséquilibrée permet à la réalisatrice de s’offrir quelques chemins de traverse. Comme son héroïne, l’intrigue emprunte ses propres circonvolutions avant d’atteindre son but. D’abord, Ava dévore des yeux (et ce n’est évidemment pas un hasard) celui sur qui elle a jeté son dévolu. Elle le croise et le recroise, comme par hasard. Mais, comme si le film hésitait à prendre ce chemin-là, des intrigues parallèles se mêlent. Des pistes s’esquivent. Un portrait se dessine, surtout. Celui d’une jeune fille atypique, abrupte et cinglante, tour à tour cruelle et bouleversante. Un personnage radical, à la violence pas uniquement symbolique. C’est elle qui porte le film, et l’emporte là où son envie la conduit, au-delà de la simple rébellion adolescente.

Lorsque l’histoire se resserre autour de l’histoire d’amour, le traitement général arrive à sortir le film de cette veine-là pour aller vers un récit plus sombre et plus radical. On sent que l’adolescente joue toute sa vie pendant cet été. Il y a dans son comportement comme dans la tonalité du film un sentiment d’urgence et de jusqu’au boutisme qui confirment qu’elle n’a de toute façon déjà plus rien à perdre. Paradoxalement, on la sent plus plus mûre que son amant. Plus avancée dans son parcours de vie. Elle a compris avant lui dans quelle situation ils sont, dans quelle situation ils vont se retrouver. On sent chez elle une forme de clairvoyance, et pas tellement de naïveté. Ava fonce tête baissée dans les ennuis, pas parce qu’elle est jeune et influençable, mais parce qu’elle a décidé de vivre pleinement cette histoire. C’est pourquoi on peut croire au finale follement romantique, au sens le plus noble du terme, qui exalte les sentiments et se moque de la raison, de la morale et du sens commun.

Le film, comme le personnage principal, a les excès de la jeunesse. Il souffre notamment de quelques longueurs, facilités de scénario (toute une part de l’intrigue semble évacuée en cours de route) et autres afféteries de mise en scène. Par exemple, on ne peut pas s’empêcher d’y voir parfois un aspect « démonstration de savoir faire. » A l’aise dans la légèreté comme dans le drame, dans l’action comme dans la contemplation, Léa Mysius multiplie les scènes visuellement fortes, utilise avec brio son format 35mm, s’offre quelques scènes détonnantes. Elle se vend, pourrait-on dire, mais c’est vrai qu’elle se vend bien. On a rarement vu des récits initiatiques aussi ambigus, des premiers longs métrages aussi maîtrisés, des personnages d’adolescente aussi riches. après avoir vu Ava et Les fantômes d’Israël, que Lea Mysius a co-écrit avec Desplechin, on sait que c’est tout simplement une cinéaste à suivre.

MpM



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