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Les proies (The Beguiled)

Sélection officielle - Compétition
USA / sortie le 23.08.2017


MISE À MORT DU MEC SACRÉ





« Le garder serait plus chrétien. »

Ne boudons pas notre plaisir. Avec Les proies, Sofia Coppola nous offre un conte de fée aussi beau que cruel, mais surtout perfidement drôle. Prenez un poulailler de huit femmes, enfermées dans une vaste demeure (la comparaison avec le film de Ozon s’arrête là), placez y un coq (en pâte) qui se transforme en renard (sur une patte), secouez et servez.

Nous sommes en pleine guerre de Sécession, côté sudiste. Une petite fille va cueillir des champignons en chantonnant dans une splendide forêt de cette Virginie profonde. Elle va surtout trouver un mâle yankee, blessé. Une fois recueilli, le voici accueilli. La fièvre monte aussi vite que le désir. Les hormones se déchaînent. « La présence de ce soldat n’est pas sans effet. » Les vestales deviennent coquettes, séductrices, rivales. Le scénario leur offre un véritable champ de batailles niveau petites vacheries. Presque garces, ces « bitches » en crinoline, vont vouloir conquérir un homme démuni, qui, une fois remis sur pied, va les flatter afin de prendre le pouvoir sur chacune d’entre elles, prêtes à tout pour être la favorite.

Depuis Virgin Suicides, Sofia Coppola ne cesse d’étudier le comportement humain en huis-clos, comme un scientifique observe l’évolution d’une bactérie en milieu isolé. Après un foyer oppressant, un bar d’hôtel au bout du monde, un château et un palace coupés de la réalité ou encore une ville de tentations, nous voici enfermés dans une résidence au milieu de nulle part. Dans ces lieux, elle s’amuse à voir évoluer le comportement d’un clan ou d’un groupe face à l’adversité. Des sœurs contre leurs parents, deux solitaires contre leur ennui, une Reine et sa cour contre l’air du temps, ou ici des femmes seules et malheureuses face à un conflit aussi bien intérieur qu’extérieur. Les proies est à la croisée des deux axes.

La cinéaste en étudie les moindres détails, des décors fournis en petits objets aux costumes minutieusement conçus. Sa passion pour la mode et le design imprègnent comme toujours son œuvre (la couture a son utilité quand il s’agit de refermer une plaie, ceci dit). Si l’image est somptueuse, elle a aussi son revers, lui conférant un aspect parfois trop feutré. On sent que l’horreur n’est pas son domaine (on évite ainsi une séquence chirurgicale atroce), préférant la lumière des bougies (so Barry Lyndon) ou le soleil transperçant les feuillages touffus (so Naomi Kawase).

Gardiennes d'un temple

Cependant, l’esthétisme ne dessert pas le film. Il le personnalise. Le plaisir est ailleurs. Sofia Coppola cherche à divertir. Le récit est très découpé, composé de multiples scènes assez courtes, produisant un tempo alerte. Et le scénario, malgré un petit coup de mou à la moitié du récit, vite rattrapé par un incident qui entraîne le film jusque là bienveillant vers une atmosphère plus tendue et inquiétante, se régale de dialogues subtils et ciselés. Une autre guerre se prépare. Les chipies, entre jalousie et espoir, précieuses ridicules pour obtenir les faveurs (charnelles ou amicales) de l’opportuniste, qui sera puni (castré d’une certaine manière) quand il osera toucher une vierge (péché mortel !). Comme dans tous les contes, la symbolique est à prendre au sérieux.

Mais avant tout, quelques répliques, quelques regards ou gestes, et quelques situations font rire. Un rire parfois jaune dans une comédie finalement très noire. Le spectateur a toutes les clés pour s’amuser d’une situation pourtant dramatique. D’autant que la menace extérieure (les coups de canons se font entendre) laisse place à une menace intérieure. La peur change de camp. Ainsi quand il s’agira de trouver le moyen de s’en débarrasser, toutes s’accorderont sur le moyen, en éliminant tour à tour les « mauvaises » solutions. Un pacte pas vraiment chrétien. L’immoralité de leurs actes et l’acceptation de leur sort soulignent que la solidarité du groupe, y compris de celle qui a le plus à perdre, vaut tous les sacrifices. Généralement, chez Coppola, les fins n’étaient pas si « heureuses » (même si celle-ci est amère). Un suicide, une séparation, une décapitation, de la prison…

Avec Les proies, elle propose un film plus accessible et plus optimiste. Dans cette variation du Grand méchant Loup et des huit petites cochonnes, la maison blanche, temple soutenu par ses colonnes grecques, a su résister à ce corps tentateur et étranger. Et Sofia Coppola a réussi à se confronter à plusieurs genres qui ne lui étaient pas forcément familiers, tout en conservant sa singularité.

vincy



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