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Carré 35

Sélection officielle - Séances spéciales
France


LA RÉCONCILIATION FAMILIALE





«- Nous vivons avec un fantôme. »

Tourné sur plusieurs années, le documentaire d'Eric Caravaca, Carré 35 est un voyage dans le temps bouleversant qui recolle les morceaux de puzzle d'une histoire familiale dans la Grande histoire. Le comédien part d'un sentiment étrange et diffus que son arbre généalogique est incomplet, que certaines racines sont très enfouies. D'où tu viens, je te dirais qui tu es. De ce postulat, Caravaca fouille comme un archéologue les souvenirs de famille.

Hors ceux-ci sont flous. De son pressentiment naît un fait: avant sa naissance, il y a eut une sœur. Elle est morte. De ce fait, il essaie de chercher la vérité. Mais chacun a sa version. La mère, le père avant sa mort, le cousin... il y a un déni insupportable. Les photos ont été brûlées. "Qu'est-ce que tu veux faire avec une photo? Pleurer dessus?" lui demande sa mère. Eric Caravaca observe, questionne puis, n'en pouvant plus, enquête.

Le voyage le conduit au Maroc, dans un cimetière mal entretenu de Casablanca, aux pieds d'une tombe du carré 35, propre et fleurie. Le spectateur est immergé dans ce récit intime. Ça aurait pu être indécent, déplacé, nous rendre plus voyeur que spectateur. La caméra pudique et le ton sincère permettent au contraire de nous impliquer dans cette quête, et même de l'embrasser.

Il faut dire qu'il est aidé avec une maman qui a changé d'identités par caprices, qui s'enferme dans le mensonge, qui amnésie tout un pan de sa vie. Attachante mais énigmatique. Il est aussi aidé par des miracles. La mystérieuse femme qui s'occupe de la tombe, les vieux passeports qui révèlent les contradictions. Un vrai scenario de fiction! Eric Caravaca doit ouvrir le champ de ses questions à l'histoire du Maroc et de la colonisation. Il veut comprendre comment / pourquoi sa famille espagnole installée à Casablanca a terminé son parcours en France, via Alger. Il ne peut s'empêcher de montrer comment une guerre peut pousser de simples gens à l'exode, faisant un lien avec notre époque.

Finalement cette culture de l'oubli traverse le temps. Le secret de famille, entre honte et fuite, se reconstruit, sans accuser mais en faisant éclater la vérité. Minutieusement, le réalisateur-fils-frère recueille les différentes versions (le père n’a pas les mêmes souvenirs que la mère) pour faire revivre le fantôme d’une petite fille cachée dans les tréfonds de l’inconscient. Il refuse de tourner la page comme on lui ordonne, il se perd dans le dédale de ses réflexions. Mais finalement cette propagande d’Etat durant les Colonies n’est-elle pas comparable au discours officiel de la Mère qui dure depuis des décennies ?

Avec tendresse et émotion, Carré 35 touche en plein cœur et nous invite à cette réconciliation familiale. Il faut remonter plus loin, à la mère de la mère, pour comprendre le comportement étrange de ces parents qui n’ont pas assumer une petite fille morte trop tôt, une petite fille différente. Il faut une grande dose de chance et de hasard pour que la mémoire soit ravivée. C’est un scénario de cinéma qui se déroule sous nos yeux à la fin quand le puzzle apparaît intégralement, grâce à une photo ressuscitée, une mère apaisée, une sœur réhabilitée. Eric Caravaca a servi de révélateur et de passeur, faisant le lien entre ces européens d’Afrique et ces africains d’Europe, entre ces nomades qui réinventaient leurs vies au gré des incidents de l’histoire et de l’Histoire, et sa génération qui veut ne rien oublier, à tout prix. Quitte à bousculer les ancêtres et à faire pleurer les témoins.

vincy



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