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Le redoutable

Sélection officielle - Compétition
France / sortie le 13.09.2017


DEUX OU TROIS CHOSES QUE L’ON SAIT DE LUI





« Tous les artistes devraient mourir à 35 ans avant de devenir des vieux cons. »

Aïe. S’en prendre à Godard ! Il fallait une bonne dose de culot à Michel Hazanavicius pour s’attaquer à une telle légende du 7e art, encore vivante qui plus est. Et, ô bonheur, il s’en tire incroyablement bien. Le redoutable est en effet un film pop et rythmé, inventif et coloré, qui mêle joyeusement l’hommage irrévérencieux au portrait affectueux.

Hommage, car le cinéaste a visiblement révisé son petit livre rouge du cinéma de Godard, et il truffe son film de références esthétiques qui vont de l’art de la citation, justement, à l’utilisation d’images en négatif ou à de très beaux (et très ostentatoires) travellings. Portrait, car derrière ses postures, sa mauvaise foi et sa mauvaise humeur, se dessine à la fois l’esquisse (bienveillante) de Jean-Luc Godard lui-même, mais aussi celle d’une allégorie de cinéaste enlisé dans des questions théoriques et formelles. D'ailleurs, on ne peut s’empêcher de voir, derrière les doutes et les questionnements de Godard, ceux qui assaillent peut-être Michel Hazanavicius lui-même.

D'autant que Le redoutable s’inscrit très lisiblement dans son oeuvre, avec notamment la même volonté de détourner un genre cinématographique (ici, celui du biopic) que dans la série OSS 117, et avec un clin d’oeil appuyé du côté de son film de montage La Classe américaine, mais, cette fois, avec des images du Jeanne d’Arc de Carl Dreyer. Et puis lui aussi s'est probablement posé la question du cinéma politique avec son précédent film (malheureusement de triste mémoire), The search. Michel Hazanavicius transcende ainsi l'icône JLG pour en faire à la fois une allégorie de cinéaste et un véritable personnage de film, charmant et irrésistible au départ, puis de plus en plus insupportable et hargneux, enfermé dans un rôle dont il ne parvient pas à sortir.

Le film se découpe en une dizaine de chapitres portant tous des titres plus référencés les uns que les autres, de « Wolfgang Amadeus Godard » à « Sauve qui peut (les meubles) » en passant par « Enragez-vous » ou « Avec Mao, tout est beau », et joue sans cesse sur un double niveau de lecture savoureux : le premier est classiquement celui de l’intrigue, le second est comme une série de private jokes à l’attention des cinéphiles, et à vocation de réflexion sur le cinéma.

Ce qui est peut-être le plus formidable, c’est que le cinéaste parvient à ne pas se répéter d’une séquence à l’autre, adaptant parfaitement les procédés en fonction du temps de l’intrigue (les voix-off et regards caméras dans la scène d’exposition ; la nudité pour illustrer la jalousie ; le sous-titrage de pensées quand le couple prend l’eau, etc.) et réunissant systématiquement à tirer le meilleur parti de ce qui pourrait parfois passer pour des gags faciles. On aime notamment beaucoup celui de la casse récurrente des lunettes (symbolique du flou idéologique dans lequel évolue Godard mais aussi de sa perte de vision claire de ce que doit être son cinéma) ou des couvertures de livres qui entament un dialogue silencieux.

Mais ce que l’on préfère par dessus tout, ce sont les dialogues, si merveilleusement cruels et satiriques qu’ils sont d’une drôlerie sans nom. Un exemple, au hasard (on voudrait les retenir tous) : « Je suis sûr que si tu demandes à un acteur de dire que les acteurs sont cons, il le fait » (le tout évidemment prononcé par un acteur). A rapprocher d’un autre moment où le personnage prétend qu’il n’est pas Godard, mais un acteur qui interprète Godard. Ce jeu permanent avec le spectateur ne fonctionnerait d’ailleurs pas aussi bien si les deux comédiens principaux ne prenaient pas un plaisir aussi manifeste à jouer leurs personnages. On se doit de crier quasiment au génie devant la prestation de Louis Garrel, qui incarne un Godard plus vrai que nature, même dans la diction si particulière du réalisateur, et qui se moque de lui-même avec une gourmandise irrésistible. Mais il faut aussi saluer le travail accompli par Stacy Martin. Si son personnage semble beaucoup moins flamboyant que celui de Garrel, puisqu’elle est souvent en retrait, dans une posture d’observatrice, son jeu se devait d’être deux fois plus subtil et maîtrisé, passant par des choses infimes, et notamment cette manière qu’elle a de simplement faire passer une ombre sur son visage.

Lorsque l’on voit ses grands yeux clairs se voiler de tristesse, on oublie tout de la satire cinématographique et de la dérision politique pour ne plus voir que la douleur d’une femme qui se met à ne plus aimer un homme. Tout à coup, on est face à un couple qui fait l’expérience du désamour et de l’éloignement, et l’on convoque presque malgré nous quelques scènes d’un film appelé Le Mépris. Puis l’on se met à rire, conscient que quoi qu'il arrive, c’est quand même Godard qui aura toujours le dernier mot.

MpM



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