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Barbara

Certain Regard
France / sortie le 06.09.2017


QUI EST QUI





«- Vous êtes vraiment un peu trop grand pour jouer Roland. On va vous filmer assis. »

Mathieu Amalric propose un faux film biographique. Et c’est la première bonne nouvelle de ce film consacré à la chanteuse Barbara. Comme dans Tournée, il se plaît à filmer ces nomades dont le foyer est une scène chaque jour différente. Comme dans La chambre bleue, il s’amuse à explorer les contradictions sentimentales d’êtres insatiables. Mais ici, il offre un film presque expérimental. Un tableau mouvant, composé de collages (archives réelles, reconstitutions plus que fidèles), lui permettant de mettre en parallèle trois processus de création : celui de l’artiste Barbara, qui écrit les notes et les mots simultanément, celui de l’actrice qui doit l’incarner au cinéma, imitant le moindre geste, la moindre fêlure, et celui du réalisateur qui voue une admiration infinie à la première et se sent troublé profondément par la ressemblance avec la seconde. Barbara est une déclaration d’amour : à la chanteuse iconique (avec Brassens et Brel, elle est un monument de la chanson française) comme à la comédienne perfectionniste, à une muse musicale et à son ancienne compagne. Disons-le immédiatement : Jeanne Balibar est exceptionnelle. Elle livre une performance rare et précise, et on sent qu’elle s’est investie autant que le personnage qu’elle interprète.

Ici, point de récit chronologique, point de grandes étapes obligatoires. La narration ne prend rien des biopics traditionnels. L’histoire est dans le désordre, mélangeant fiction et réalité, tournage et vie passée, témoignages visuels souvenirs et images plagiées. Barbara est un film fragmentaire. Il vole des instants, compose une partition dissonante et pourtant très harmonieuse. Il en est perturbant lorsque le montage mixe la voix de l’une avec l’image de l’autre, et enchaîne avec l’image de la première avec la voix de la seconde. On ne sait plus si c’est une archive ou une recomposition. Même le metteur en scène Amalric, incarnant le metteur en scène obsessionnel de ce faux-film, s’y perd et confond son amour pour Barbara avec celui pour Brigitte, l’actrice qui doit l’incarner. D’où cette phrase sentencieuse : « Vous faîtes un film sur Barbara ou vous faites un film sur vous ? » Il y a de l’amour incestueux dans l’air.

De son côté, le scénario ne s’oblige pas à une structure classique. Le film est impressionniste, parfois pointilliste. Il y a les grandes chansons, à la télévision (car elle traverse le temps), sur scène, répétée par la comédienne, ou même reprise par un jeune homme. Mais le film n’ouvre que quelques fenêtres sur le destin de cette chanteuse si singulière, laissant le spectateur le soin de la (re)découvrir à travers ses disques ou des livres, s’il veut en apprendre davantage.

«Je n’ai fait que traverser la Seine » chantait-elle pour résumer son parcours d’un petit club de la rive gauche au théâtre du Châtelet. Elle a n’a pas fait que traverser la scène.

Finalement, ces fragments d’un film rêvé autour d’une artiste non résumable et inaccessible font de Barbara une œuvre juste et humble. Amalric a préféré l’inachevé à l’idéalisé, l’émotion au sentimentalisme. Plutôt que de s’attaquer à cette statue, il a cherché à s’aventurer dans un dédale dont il sait qu’il ne sortira jamais. Il capte des instants, vole des événements, imagine des situations, réinvente ou reproduit des chapitres. Le cinéaste sublime Barbara, l’érotisant presque dans sa songerie. Il ploie sous l’ombre immense de cette dame brune, comme on vénère craintivement une déesse. « Simplement dire je t’aime, je n’ose pas, je n’ose pas. » Plutôt que de le dire, il a préféré le filmer.

vincy



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