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Harmonium (Fuchi ni tatsu)

Certain Regard
Japon / sortie le 11.01.2017


LA DÉSINTÉGRATION





"Je veux juste savoir ce qui s'est passé à ce moment là.
- Qu'est-ce que ça changera?
"

Subrepticement, Kôji Fukada nous surprend avec une famille japonaise a priori ordinaire. La communication est difficile: le père semble murer dans son travail et ses secrets, la mère se concentre sur leur fille, qui, elle-même, a du mal à exprimer ses envies.

Un étranger va troubler cette routine pesante en rappelant le passé du père, en tentant la bonne épouse et en s'occupant des leçons d'harmonium, piano au son d'accordéon, de la gamine.

En surface, le film, au style réaliste, ne pourrait être qu'une chronique aigre-douce. Mais progressivement, très lentement dans la première partie du film, les choses vont dérailler et faire imploser cette cellule familiale. Horriblement, tragiquement. Banalement. Il n'y a rien d'esthétique: tout se déroule dans un quasi huis-clos (la maison et l'atelier de soudure, situés dans un faubourg pas très chaleureux, entre une autoroute et une rivière canalisée).

En deux parties distinctes, séparées par huit années, le cinéaste filme l'avant et l'après d'un crime et de ses conséquences. Maître de l'ellipse, Kôji Fukada tord son récit pour nous dévoiler quelques explications que parcimonieusement. Le spectateur n'en sait jamais beaucoup plus que l'épouse, pivot central du film. Outre ses ellipses, Harmonium manie aussi l'énigme. Ce qui lui permet de maintenir l'attention avec un minimum de faits et de dialogues.

La Reine Mariko

Akié, la mère, est au centre de cette spirale terrifiante, infernale et fatale. Mariko Tsutsui en étudie toutes les variations jusqu'à une certaine perfection. Impressionnante, la comédienne peut être ainsi aimable, suave, amourachée et désirable, au bord de la folie, complètement toquée, bien présente puis complètement absente. C'est une performance qui mérite à elle seule le coup d'œil.

Sa religion (protestante) la conduit à se sentir coupable d'un crime qu'elle n'a pas commis à cause d'un péché qu'elle a failli commettre. Elle est victime de tout le monde: son mari, cet ami étrange et séduisant, l'incident tragique, les mensonges des uns, les pulsions des autres. La voici mère courage se sacrifiant sans retenue pour expier ses éventuelles fautes.

Dans cette atmosphère mystérieuse où l'on ne sait pas très bien à quoi s'attendre, et c'est ici la prouesse du scénario que de nous mettre sur de nombreuses fausses pistes tout en sachant rebondir là où l'histoire va nous mener (la fin reste ouverte pour que le spectateur puisse se faire lui-même l'épilogue, heureux ou dramatique), Harmonium est un film psychologiquement retors, qui laisse une légère trace indélébile. La mère se fait dévorer par sa fille, comme les araignées du jardin, se fait avaler par la vie qui ne lui épargne rien, se fait piégée par le passé de son mari et son étrange ami, ami familier, qui vont la hanter jusqu'à la pousser à vouloir se libérer de ces prédateurs. Elle était une mère singe, à laquelle sa fille s'agrippait, elle devient une mère chat, contrainte de porter sa fille, comme on porte une croix.

L'œuvre est subtile, jouant de codes cinématographiques (le tee-shirt rouge sous la salopette blanche annonçant la furie de celui qui le porte) et appliquant une grammaire parfaite (l'image du bonheur figeant la famille heureuse allongée sur un rivage versus l'image du malheur figeant cette même famille au bout de sa vie au bord de l'eau).
Ce qui est épatant dans la mise en scène de Kôji Fukada c'est sa faculté, et sa facilité, à ne jamais appuyer les situations, adoucissant les scènes qui auraient pu être effroyables, banalisant les révélations qui auraient pu être surjouées ou sublimant les sentiments pourtant si intériorisés. Harmonium a quelque chose de morbide mais sa construction le rend perturbant et sa simplicité le rend touchant.

vincy



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