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Ni le ciel ni la terre

Semaine critique - Films en sélection
France / sortie le 30.09.2015


LA GUERRE EST DÉCALÉE





"Si je dois revenir ici et foutre le feu pour retrouver mes hommes, je le ferai."

Dans une zone frontalière si stylisée qu’elle en devient allégorique, Clément Cogitore filme une guerre exsangue, en suspend, réduite � quelques brèves scènes d’action symboliques. Les combats lointains ou les conflits qui opposent les soldats français aux villageois voisins ne sont qu’une toile de fond � une lutte plus intérieure, plus insaisissable, qui met aux prises chaque homme avec lui-même.

C’est dans ce contexte inconfortable que font irruption des éléments fantastiques savamment dosés qui ouvrent la porte � une inquiétude sourde et insidieuse. Les personnages commencent alors � s’interroger sur le sens de leur présence en ces lieux, sur celui de leur combat, et surtout sur celui de leur existence. Au cœur du récit, il y a la notion d’absence, qui rend fou. O� sont les disparus, que deviennent-ils ?

Entre thriller onirique et film de guerre fantastique, les survivants partent � la dérive, hésitant entre légendes ancestrales, magie noire et discours apocalyptique, confrontés au seul danger qu’ils ne peuvent affronter, un danger d’ordre métaphysique, incompréhensible, qui conduit lentement � la folie. Il y a aussi une sorte de fascination pour ces disparitions qui, puisqu’elles sont inexpliquées, peuvent être interprétées comme une fuite bienheureuse dans un ailleurs plus clément. Tout est dans le doute, prégnant, violent, insupportable.

Le climat et l’ambiance rapprochent Ni le ciel ni la terre du dernier film d’Apichatpong Weerasethakul, Cemetery of splendours, qui met lui aussi en scène des soldats absents : absents � eux-mêmes, quoi que leurs corps soient bien l�. On trouve dans les deux récits les mêmes sensations d’hallucination, les mêmes rêveries collectives. Peut-être parce qu’on se laisse contaminer par ces visions oniriques, on se prend alors � penser que les soldats disparus de Clément Cogitore sont en train de dormir chez le cinéaste thaïlandais, sous des néons colorés fantasmagoriques, libérés enfin de toute contingence, mais privés de toute force vitale. Au fond, qu’importe. Car le lieu o� ont disparu les soldats n’a qu’une importance rhétorique, quasi allégorique. C’est la question, et les mécanismes qu’elle enclenche, qui intéressent le cinéaste.

Esthétiquement, le recours fréquent � une caméra subjective en vision nocturne contribue � plonger le récit dans une irréalit� indéfinie. On a par moments l’impression d’être dans un film d’animation o� des silhouettes verdâtres, fantomatiques, se découpent sur un fond noir insondable� avant de disparaître. On est dans une imagerie � mi-chemin entre le film d’horreur et le jeu vidéo, ce qui contraste avant l’apparent réalisme de l’histoire. Il y a en effet un plaisir supplémentaire � observer des militaires, avec tout ce que cela implique de rigueur, d’autorit� et d’obéissance, glisser peu � peu vers la superstition et le surnaturel. Sous nos yeux, c’est un peu la grande famille de l’armée qui se délite, tout � coup impuissante, malgr� sa force, ses armes et sa violence. Les soldats redeviennent des enfants qui craignent le croque-mitaine et cherchent la caverne d’Ali Baba.

A ce stade, le film aurait pu basculer vers l’étrange, l’aventure fantastique, ou même le gore. Mais il s’en tient � sa ligne, et � la question qui le hante : qu’advient-il de ceux qui disparaissent ? L’ambiguït�, bien sûr, est volontaire, et la métaphore transparente. On se croyait confront� � un mystère fictionnel et l’on se retrouve face � l’interrogation métaphysique ultime. Preuve que l’on avait quelque raisons d’évoquer Apichatpong Weerasethakul Et si la réponse qu’y apporte Cogitore nous laisse un peu sur notre faim, c’est moins dans son absence d’explication (prévisible) que dans son incapacit� � terminer le film sur une note forte. Les circonvolutions de la fin peinent en effet un tout petit peu � se hisser � la hauteur du sujet. Cela dit, il y a longtemps qu’un premier film français s’aventurant sur un terrain aussi glissant ne nous avait pas � ce point enthousiasm�.

MpM



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