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Les deux amis

Semaine critique - Séances spéciales
France / sortie le 23.09.2015


JE PRÉFÈRE QU'ON RESTE AMIS...





Deux garçons qui regardent la même fille, combien de possibilités ? La fille c’est Mona qui vend des sandwichs à la gare, et Clément (qui a un coup de foudre pour elle) demande conseil à son ami Abel… L’un avec l’autre, l’un sans l’autre, l’un contre l’autre, l’un et l’autre, Clément et Abel vont désirer conquérir la belle et mystérieuse jeune femme.

Louis Garrel acteur apparaît tantôt comme un grand dadais tête à claques pour ses détracteurs tantôt comme un somptueux dandy pour ses admirateurs. Quoiqu’il en soit, avec son physique de jeune premier et sa voix de vieux sérieux, il est l’un des rares acteurs de sa génération qui, avant d’être trentenaire, s’est déjà imposé de manière certaine dans le cinéma français. Il incarne un lien avec un héritage verbeux post-Nouvelle Vague (6 films avec son père Philippe Garrel, 6 films aussi avec Christophe Honoré) et un certain cinéma d’auteur moins conservateur voire formaliste (chez Bernardo Bertolucci, Jacques Doillon, Bertrand Bonello). Romantique et comique, farfelu et tragique, son personnage, à la manière d'un Léaud ou d'un Léotard, laisse son empreinte. Il a donc essayé la de plusieurs courts-métrages - en filmant des histoires d'amis déjà - avec talent : Petit tailleur (avec Léa Seydoux, en noir et blanc) sera nominé pour le César du meilleur court-métrage et La Règle de trois (avec déjà Vincent Macaigne et Golshifteh Farahani) recevra le Prix Jean-Vigo du court-métrage. Tout en reprenant à son compte le thème ultra-classique deux garçons et un fille égal x possibilités, Louis Garrel a donc réalisé son premier long-métrage Les deux amis, ou l’amitié face à l’amour…

Dès le début, il y a une certaine complicité déjà acquise avec le spectateur. On découvre les deux amis Clément et Abel moins comme deux nouveaux personnages inconnus et brouillons qu'une énième variation des rôles déjà connus de Vincent Macaigne et Louis Garrel. Vincent Macaigne-Clément est comme d’habitude quelqu’un de volubile qui parle beaucoup avec plusieurs avis contradictoires, Louis Garrel-Abel est comme d’habitude celui qui a des certitudes qu’il hésite à exprimer. Dès le début il y a cette relation de dépendance de l’un à l’arrogance de l’autre. Clément s’enflamme pour une vendeuse de sandwichs et durant 48 heures ils vont mesurer la fragilité de leur amitié pour les beaux yeux de Mona qui elle se retrouvera presque otage autant de leur rivalité que de leur complicité.

« Quand tu ne veux pas qu’une porte se ferme, tu mets le pied dans la porte. »

En empêchant Mona de prendre le dernier train du soir, les deux amis ignoraient la gravité de la situation dans laquelle ils allaient la bloquer. Désespérée, elle va tout de même les laisser s'approcher d’elle sans savoir qu’elle risquait de les séparer… Clément et Abel n’ont que leur situation amoureuse compliquée, tandis que le spectateur saura avant eux que pour Mona c’est toute sa vie qui est compliquée. Tout comme au théâtre chez Marivaux ou chez Musset (comme la pièce Les Caprices de Marianne où deux cousins convoitent une même femme, qui a inspiré ce film de Garrel), le spectateur a souvent une longueur d’avance sur les personnages. Entre secrets et rebondissements, ce trio est savoureux. Ce jeu de l’amour et du hasard avec deux jeunes hommes plutôt immatures (un figurant aspirant cinéaste qui galère, un gardien d’hôtel aspirant écrivain qui patauge) les rend d’autant plus imprévisibles et fantasques. Ils sont presque comme deux grands adolescents ("va lui demander si elle veut sortir avec moi") qui font les 400 coups. Le film fait d’ailleurs de nombreux clins d’œil (un trio amoureux, un tournage de mai 68, une errance dans la ville…) aux films qui ont pu inspirer le réalisateur, en particulier les deux chefs-d’œuvre formateurs dans lesquels il a joué à vingt ans Innocents-The Dreamers de Bernardo Bertolucci et Les Amants réguliers de Philippe Garrel, auxquels on peut ajouter Dans Paris de Christophe Honoré (co-scénariste ici).

Durant cette errance atemporelle (gare, bar, poste de police, hôtel…), le duo Vincent Macaigne et Louis Garrel a beau jeu d’en faire des caisses jusqu’à s’auto-parodier par plaisir (et pour le nôtre). C’est la sublime Golshifteh Farahani qui vole toutes les scènes. Elle est à la fois la cause et les effets dans l’histoire. Quand les deux autres ne sont que verbiages et gesticulations; Golshifteh Farahani s’impose avec larmes à l’œil, sourires en coin, corps qui danse (la scène du bar). elle illumine le film par sa présence à la fois naturelle et charnelle. Une perle rare. C’est là tout le dilemme du film : ils désirent vivre un moment amoureux avec elle au péril de leur amitié. Les sentiments, c'est compliqué dans une société où on ne les partage pas tant que ça.

Les deux amis est un film auquel on a envie d'ajouter des qualificatifs comme amusant, charmant, émouvant, touchant…, mais c'est avant tout une jolie surprise étonnante. Singulière comme son auteur.

Kristofy



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