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Mediterranea

Semaine critique - Films en sélection
Italie / sortie le 02.09.2015


TERRE PROMISE





Terriblement d’actualité, Mediterranea nous attache aux pas de Ayiva, jeune homme burkinabé tenace qui est prêt à tout pour réaliser son rêve : rejoindre l’Europe et y réussir sa vie. Son parcours, hyper réaliste, est filmé de très près, caméra à l’épaule. Le résultat est à la fois de nous immerger brutalement dans cette réalité âpre, et, peut-être plus involontairement, de faire écho aux images nombreuses des journaux et autres reportages qui ont envahi nos petits écrans ces derniers mois. Cet aspect-là est le plus dangereux, car en s’inscrivant dans une actualité brûlante, le réalisateur prend le risque d’une comparaison avec le réel, à son désavantage, ainsi que d’être taxé d’un certain opportunisme.

Par moments, il cherche clairement à provoquer le spectateur en ayant recours à des images spectaculaires ou choquantes. Il joue avec la bande-son pour atteindre ses nerfs, distille une ambiance anxiogène de thriller. L’ambivalence, toujours : comment marquer suffisamment les esprits pour faire œuvre utile ? Comment se démarquer du flot ininterrompu de news des chaines tout info ? Comment rendre hommage à ceux qui ont inspiré son récit, et même leur venir en aide ? L’exercice est compliqué, sinon impossible. Car Jonas Carpignano ne maîtrise pas les émotions du spectateur, qui peut choisir de se laisser apprivoiser, ou au contraire refuser de voir.

Il faut être capable de faire abstraction du contexte pour observer Mediterranea comme une œuvre artistique. La fiction, pourtant, est chevillée au film. Ainsi, le réalisateur a recours à de nombreuses ellipses pour fluidifier son récit. La première partie est constituée de pastilles courtes qui montrent les différentes étapes. Inutile de s’appesantir : tout le monde a une idée assez précise du déroulement des étapes.

Arrive la deuxième partie, qui est celle de l’arrivée sur la "terre promise". L’Italie fantasmée doit finalement se confronter à la vraie. Une fois encore, Jonas Carpignano fait œuvre de documentaire. Il raconte la dualité des conditions d’accueil : la solidarité de la part de la communauté en contraste avec le rejet de la part des autochtones. L’abri de fortune dans un bidonville, le froid, les menaces qui planent… Et pour couronner le tout : le racisme.

Patiemment, le film aborde toutes les thématiques liées à l’immigration, qu’elle soit légale ou non. Le risque de se faire exploiter, la nécessité de survivre, la perte de dignité, l’obligation d’envoyer de l’argent à sa famille, le mal du pays… Le personnage principal, lui, est une boule d’énergie qui fait tout pour atteindre son but. Mais c’est au travers de ses compagnons et notamment de son frère que l’on perçoit les tensions, la fierté ravalée, le mal être. La déception et l’horreur.

Le film patine un peu à ce moment-là, comme s’il ne savait comment raconter la suite. Puis il s’enflamme en racontant le revers d’une médaille déjà pas franchement glorieuse. Les difficultés étaient principalement matérielles et intimes, elles deviennent une question d’intégrité physique et de principe moral. Que faire face à la violence ? Le héros est placé dans une situation impossible, un énième dilemme qui ne peut mener nulle part : se cacher ou résister ? Riposter ou s’écraser ? Rester ou partir ?

Restant sur sa ligne stricte d’observation bienveillante, Jonas Carpignano ne donne pas de réponses toutes faites, à peine quelques éléments de réflexion pour se forger sa propre idée. A la place, il livre une multitude de questions qui tournent autour de la responsabilité de chacun, des solutions qui pourraient être apportées, de la solidarité défaillante, de la culpabilité collective. Comme s’il lui transmettait un flambeau, le réalisateur laisse le spectateur seul avec sa colère, sa révolte et sa douleur, mais en lui insufflant peut-être la seule chose qui compte : le désir d’agir.

MpM



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