39-98 | 99 | 00 | 01 | 02 | 03 | 04 | 05 | 06 | 07 | 08 | 09 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19


 
 
Choix du public :  
 
Nombre de votes : 22
 












 
Partager    twitter



festival-cannes.com

 

Les mille et une nuits - le désolé

Quinzaine des réalisateurs - Compétition
Portugal / sortie le 29.07.2015


CRISE D’EFFROI





"Je n’attendais pas un tel rosaire de malheurs."

Le deuxième volet des 1001 nuits, triptyque de Miguel Gomes inspiré de faits réels ayant eu lieu au Portugal en 2013 et 2014, nous emmène sur les traces d’un fugitif que sa fuite transforme en héros, d’une juge aux prises avec toute la misère du monde et d’un chien qui recrée du lien social dans une grande barre d’immeuble déshumanisée. Comme dans L’inquiet, chaque conte est prétexte à aborder des thématiques fortes et à croiser toutes sortes de personnages qui livrent des bribes de leur existence. Le vécu de tous ces individus finit par converger en un portrait édifiant, sensible et sombre, d’une société portugaise bien mal en point.

Si formellement le procédé est le même, le cinéaste s’en donne à cœur joie pour transgresser ses propres règles en multipliant, à l’intérieur de chaque histoire, les intrigues parallèles et les personnages secondaire qui, à leur tour, digressent vers d’autres sujets. Ainsi le procès qui se déroule dans l’épisode central et qui est prétexte pour donner la parole à toute l’assemblée. C’est d’ailleurs la partie où Miguel Gomes se lâche le plus, introduisant des bandits masqués, multipliant les artifices de carnaval et faisant même parler une vache.

Quant au procès lui-même, il finit par devenir le procès du monde entier, au sens propre, puisqu’il est notamment question, dans la chaine de causes et de conséquences, des malversations d’un homme d’affaire chinois. Chacun crime commis trouve ainsi une explication dans un autre crime, lui-même induit par la misère économique, sociale ou tout simplement humaine, ainsi que par ses corollaires, la recherche effrénée du profit, l’égocentrisme froid ou la globalisation des intérêts. Exactement à l’image de cette séquence fourmillant de récits et de personnages, le monde est devenu un salmigondis incompréhensible dont il n’est plus possible de percevoir concrètement les tenants et les aboutissants. Que peut la Justice face à cela ?

Indéniablement, cette 2e partie du triptyque s’avère plus amèrement pessimiste que la première. Donnant cette fois la priorité à la fiction (l’artifice du film dans le film étant presque totalement gommé, comme pour éviter toute distanciation ironique), le film fait clairement la démonstration d’un dévoiement des valeurs traditionnelles de solidarité, d’entraide et de dignité au profit de la "peopolisation", de la radicalisation et de la financiarisation du monde. Même la poésie pleine d’humour de la dernière histoire ne parvient pas à briser le cycle de la misère. La barre HLM où évoluent les personnages fait l’effet d’un réceptacle anonyme, indifférent et froid de la détresse sociale.

Est-ce pour cela qu’on accroche moins au Désolé qu’à L’inquiet ? Cette note sombre, alliée à des histoires qui n’ont pas la même force dramatique, donne en effet l’impression d’une démonstration un peu appuyée, un brin maladroite, presque misérabiliste. Mais c’est le propre des films à sketches que d’être inégaux… surtout quand ils s’étendent sur une telle durée ! C’est un peu comme si, dans ce cas particulier, l’hétérogénéité faisait partie intégrante du projet. Ce n’est qu’à l’issue du triptyque que l’on pourra réellement juger la cohérence de l’ensemble. Et puisque le dernier chapitre s’appelle L’enchanté, l’espoir est grand d’un final qui réenchante le monde en même temps que le spectateur.

MpM



(c) ECRAN NOIR 1996-2024