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Mustang

Quinzaine des réalisateurs - Compétition
/ sortie le 17.06.2015


VIRGIN SURVIVE





"La maison est devenue une usine � épouses dont nous ne sortions jamais."

En apnée. Le premier long métrage de Deniz Gamze Ergüven se traverse en apnée, la bouche sèche et les mains tremblantes. Avec une impressionnante maîtrise, la jeune réalisatrice nous entraîne dans le quasi huis clos d’une maison qui deviendra peu � peu une prison, une salle de torture et un tombeau. Ses cinq héroïnes, cinq sœurs adolescentes soumises � l’autorit� étouffante de leur oncle, s’y retrouvent en effet confinées de plus en plus étroitement, � mesure que les murs sont littéralement rehaussés autour d’elles. Comme une parfaite métaphore de la Turquie conservatrice du président Erdogan pour qui les femmes devraient se consacrer � la maternit�, et donc en gros rester � la maison.

Tout commence sous un soleil radieux, au bord de la mer, avec des jeux et des rires, puis le ton et l’esthétique du film changent drastiquement. La plage n’est plus qu’un lointain souvenir, l’insouciance aussi. La réalisatrice observe l’étau se resserrer autour de ses personnages : interdiction de sortir, contrôles de virginit�, vêtements couvrants� Cela pourrait être simplement plombant et désespér�. Mais Deniz Gamze Ergüven ne filme pas tant une aliénation qu’un affrontement entre deux mondes qui ne se comprennent pas. Elle fait de la résistance de ses héroïnes le point central de son récit, même s’il s’agit d’une résistance souvent minuscule, parfois même futile. Intelligence et fantaisie contre rigorisme, maillots de bains et match de football contre sexisme, séduction et sexualit� contre obscurantisme : dans une situation d’oppression, le moindre petit détail devient un acte de rébellion et d’insoumission, et donc de courage.

Tout en décrivant une situation qu’elle parvient � rendre parfaitement anxiogène, la cinéaste réalise un portrait de groupe très dynamique dont la légèret� et la joie de vivre ne peuvent être totalement abattues par la sévérit� de la famille. On a d’autant plus l’impression que les jeunes filles sont tour � tour emmurées dans des ombres d’existences o� on les empêche a priori d’être elles-mêmes. Lorsque le film se resserre autour de la plus jeune, Lale, d’abord témoin silencieuse de la tragédie, puis stratège de la riposte, on passe d’une question de "tradition" (que certains osent parfois relativiser au nom des "différences culturelles") � l’impératif de la survie.

Le film, qui parvenait jusque-l� � porter un regard décal� sur l’horreur de ces vies volées, monte alors d’un cran dans la noirceur, évoquant les violences commises et parfois autorisées au nom des traditions et de la religion, � l’image des crimes d’honneur dont l’ombre plane sur tout le finale du film. Dommage que le scénario force le trait en introduisant subitement (et un peu artificiellement) la problématique de l’inceste qui non seulement élève inutilement la charge émotionnelle, mais en plus fait l’effet d’une simple facilit� de scénario pour amener l'intrigue � un point de non retour qui n’avait guère besoin de ça pour être atteint.

On peut aussi déplorer que la grand-mère (premier barrage contre la barbarie) devienne de plus en plus fantomatique au fil du film. Son personnage reste mal défini, systématiquement dans le non-dit, sans que son statut paradoxal de complice (du patriarcat) et d’alliée naturelle (des jeunes filles) ne soit jamais réellement exploit�.

Toutefois, il ne faudrait pas s’y tromper, c’est bien � un tour de force cinématographique que l’on assiste. Malgr� ces deux bémols, on se laisse en effet envoûter par le ton éminemment libre du film ainsi que par la spontanéit�, la justesse et la force de caractère des cinq interprètes. Et puis, surtout, la dénonciation virulente d’un patriarcat violent, but� et misogyne emporte tout sur son passage, hormis la virtuosit� cinématographique de Deniz Gamze Ergüven. Car il n’y a pas que le film qui porte un grand espoir : sa réalisatrice aussi.

MpM



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