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Actualités sur Naomi Kawase

 

Les délices de Tokyo (AN)

Certain Regard
Japon / sortie le 21.10.2015


UNDER THE SKIN





"- Il faut les accueillir.
- Les clients ?
- Non, les haricots.
"

Naomi Kawase serait-elle en phase de mutation ? Tout juste un an après le très réussi Still the water, qui se détachait nettement de ses œuvres précédentes, elle revient avec un long métrage grand public et inspir� d'un roman, ce qui pour elle est une première. Pourtant, An s'inscrit malgr� tout dans une certaine continuit� : passée la première surprise, on retrouve bien les thèmes et le style de la réalisatrice.

D'abord, elle nous fait partager le quotidien de ses personnages. Image délavée, gestes banals, plans précis et quasi documentaires. Puis, peu � peu, elle laisse entrer des émotions, des couleurs et des sensations. Aux côtés de Tokue, charmante mammy de 76 ans, nous apprenons � admirer la nature et � apprécier tout ce qui est beau : la jeunesse, la libert�, l'amiti�. Comme le personnage central Sentaro, nous nous laissons apprivoiser par cette femme étonnante qui parle aux haricots et se réjouit d'un rien.

Entre les trois protagonistes, qui représentent trois générations distinctes de Japonais d'aujourd'hui, la transmission fonctionne dans tous les sens. La relation qui les unit peu � peu est ténue, pudique, parfois hors champ (la jeune fille raconte notamment des moments de partage avec Tokue que l'on n'avait pas vus � l'écran), ce qui la rend moins convenue. Et puis il y a les échanges autour de la fabrication du fameux "an", la pâte confite de haricots rouges qui garnit les "dorayakis", petites crêpes fourrées traditionnelles. On sent dans ces moments presque techniques la complicit� qui nait entre Tokue et Sentaro, et notamment ce qui les unit.

A ce stade de l'intrigue, on pourrait commencer � trouver An un peu trop gentillet et simpliste. C'est d'ailleurs le cas lors de plusieurs séquences, qui rappellent l'aspect format� d'un cinéma ultra classique et balis� dans lequel les rebondissements sont prévisibles et sans surprise. Par exemple, Naomi Kawase n'évite pas complétement les écueils du lacrymal. Mais lorsqu'elle s'attaque au sujet fort du film, celui des lois d'exclusion des lépreux votées en 1907 et seulement abrogées en 1996, on ne peut qu'être saisi par la constance avec laquelle la réalisatrice poursuit son exploration des facettes cachées du Japon. A sa manière, c'est-�-dire avec une grande subtilit� et une économie de paroles, elle dresse ainsi en filigrane le portrait de ces laissés pour compte � qui on a interdit pendant la plus grande partie de leur existence de vivre librement. Elle raconte cette exclusion forcée, le confinement, l'interdiction d'avoir des enfants, le rejet systématique...

Pourtant An n'est ni un documentaire, ni un réquisitoire. Il demeure avant tout l'histoire de trois solitudes aux causes bien distinctes mais aux conséquences identiques, et non un prétexte pour faire de la pédagogie facile. Les trois personnages existent solidement sous nos yeux, avec leurs failles et leurs faiblesses, leurs zones d'ombre et de mystère. Non seulement ils donnent corps au pan d'Histoire qu'ils incarnent, mais en plus ils sont comme une allégorie de tous ceux qui souffrent de discrimination ou d'ostracisme, quels qu'ils soient. En toute modestie, et � son niveau, le film restaure ainsi une partie de leur dignit� bafouée.

MpM



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