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Au-delà des Montagnes (Shan he gu ren - Mountains May Depart)

Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 09.12.2015


ALWAYS ON MY MIND





"- Les belles paroles ne viennent plus."

Après A Touch of Sin, thriller social et brutal décomposé en quatre récits, Jia Zhang-ke revient avec un drame sentimental et familial divisé en trois périodes. Mountains May Depart est une œuvre ambitieuse mais qui ne justifie pas, au final, ce procédé formel.

De 1999 à 2025 en passant par 2014, le cinéaste nous révèle sa vision de la Chine à un moment crucial de son histoire : sa mutation en puissance capitaliste. S’il y a trois chapitres, le film est en fait divisé en deux parties. Le passé, où s’insèrent des images documentaires de la Chine de l’époque, peuplée, encore pauvre, toujours communiste, installe une trio (qui fait écho à celui de Plaisirs inconnus) : une femme convoitée par deux hommes. C’est une époque festive, insouciante, un printemps plein d’espérance, une phase de dégel, où l’on danse sur Go West des Pet Shop Boys. Un prologue entraînant et symbolique, puisque le titre même de la chanson aurait pu être celui du film.
C’est aussi la partie la moins intéressante. Sa trame est trop classique et même assez prévisible. Mais avant tout, elle ressemble tellement aux films du réalisateur tournés entre 2005 et 2010 que l’impression de déjà vu lasse quand A Touch of sin nous bousculait dès les premiers plans.

En fait, quelques maladresses empêchent le film de trouver sa cohésion tout au long des événements. Ainsi, le personnage du "malchanceux", Liand, pourtant central, est abandonné à son sort au milieu du film, sans qu’on sache ce que le destin lui réserve. Et l’utilisation d’images d’archives n’intervient que dans le premier récit.

Was it Worth it?

Mountains May Depart ne commence alors qu’à un moment très précis de l’année 2014 : quand Liand, amoureux éconduit dans le passé, travailleur migrant dans des mines et atteint d’un cancer, décide de revenir dans la ville de sa jeunesse. Dès lors, le scénario trouve sa fluidité, son originalité et ne nous égare plus. Ce sera d’abord l’histoire de Tao, mère divorcée qui retrouve son fils de 7 ans qui l’a un peu oubliée en vivant dans l’opulente Shanghai avec son père, Jinsheng, capitaliste cupide fasciné par l’Amérique. Le fils s’appelle d’ailleurs Dollar. Avec patience, la mère va tenter de construire un lien invisible, tendre, ancré dans son inconscient, avec sa progéniture. Sans doute les moments les plus touchants, hymne à la transmission qui trouve son point d’orgue quand elle lui donne la clé de la maison, qui deviendra finalement un Rosebud pour le gamin. Cela nous conduira onze ans plus tard en Australie, où le père et le fils cohabitent difficilement : l’un y vit sa retraite oisivement au milieu d’autres Chinois ayant fait fortune, l’autre, complètement occidentalisé, ne sait plus parler sa langue maternelle et semble avoir même tout oublié de sa culture d’origine.

Jia Zhang-ke livre une vision assez cynique de la Chine contemporaine. Une Chine américanisée, où la jeune génération ne va plus savoir dialoguer avec l’ancienne sans passer par Google traduction (faillible) ou une médiatrice bilingue. Entre les mines qui ferment et les avions qui crashent, nous vivons une époque pas si formidable. Bien sûr, les vieux trains ont été remplacés par des TGV, on peut toujours faire ses raviolis à la maison ou tricoter des pulls bariolés multicolores, le chien est encore vivant et fortune est faite. Mais les rites s’estompent, il n’y a plus de joie, on communique par Internet, la prospérité sent le toc et on ne chante plus : car Mountains May Depart est fortement désenchanté.

One more chance

La Chine d’autrefois meurt ou se ronge de l’intérieur. Alors Jia Zhang-ke imagine demain. Un avenir où le passé est refoulé, le présent sans intérêt, et le futur évidemment incertain. Le film est alors plus construit, plus riche, mieux écrit. Il évoque l’oubli comme l’amour (et l’inquiétude qui va avec), le temps qui passe et la perception de la liberté. Jia Zhang-ke réussit là une très belle œuvre dans son film. La résurgence de l’enfance et l’aspiration à comprendre qui on est produisent une relation singulière et dénuée de jugement entre la professeur, mère de substitution, et Dollar, désormais jeune homme. Après avoir été séparé de sa mère, après avoir voulu briser les ponts avec son père, Dollar, déraciné, est livré à lui-même et doit emprunter le chemin de la liberté. Un chemin qui n’appartient qu’à nous, manière de dire aussi que la Chine ne pourra jamais contrôler ses citoyens, à condition de savoir d’où l’on vient et qui on est vraiment.

Comme cette route pleine de virages qui mène à la mine ou ce fleuve jaune qui effectue sa neuvième courbe à quelques kilomètres du centre, la vie est un long fleuve sinueux ponctué de mariage, d’accouchement, de séparation, d’enterrement, d’amour aussi. Cependant, la solitude n’est jamais loin : on vit seul (avec son chien ou ses armes), on meurt seul (entouré de moines bouddhistes parfois). Et puis on peut aussi danser seul, sous la neige. En se rappelant les bons souvenirs, quand on faisait des vagues avec ses bras sur un air disco des Pet Shop Boys. En espérant un jour revoir le fils. L’amertume de l’épilogue ne l’empêche pas de nous bouleverser.

vincy



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