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Actualités sur Woody Allen

 

L'homme irrationnel (Irrational Man)

Sélection officielle - Hors compétition
USA / sortie le 14.10.2015


SATIRE DE LA DÉRAISON IMPURE





« J’étais parti pour changer le monde et je suis un vieux prof de philo à la bite molle. »

C’est un peu comme un roman d’Amélie Nothomb : le style est reconnaissable entre mille, il en sort un par an, et c’est toujours le même humour et des thématiques identiques qui alimentent le sujet. Un nouveau Woody Allen, peu importe sa qualité, mineur ou majeur, est une pièce qui s’ajoute chaque année à une œuvre dont l’ensemble impose le respect tant elle est cohérente.

L’Homme irrationnel est une œuvre mineure dans la filmographie du cinéaste le prolifique du cinéma américain. Non pas qu’elle soit médiocre : l’image de Darius Khondji, l’interprétation d’Emma Stone, Parker Posey et dans une moindre mesure, sans surprise, celle de Joaquin Phoenix, ou encore ce scénario mijoté aux petits oignons prouvent que Woody Allen n’a pas perdu la main, après quelques grosses déceptions, et que ses films restent toujours bien meilleurs que ceux de la plupart de ses confrères. Mais elle n’amène rien de neuf, ni dans la forme, ni dans le fond. Ce sentiment de déjà vu est sans doute ce qui frappe le plus le fidèle cinéphile qui aura vu une grande partie de ses comédies à saveur criminelle, saucée de dialogues et de réflexions philosophico-littéraires (de Kant à Sartre, de Dostoïevski à De Beauvoir).

Dans la ville bien nommée de Providence, les jeux de l’amour, du hasard et de la chance entraîne une partition à deux, trois, quatre instruments qui cherchent un sens à leur vie. Eternelle question existentielle. Ça tombe bien : le personnage par qui tous les malheurs arrivent est un prof de philo, maîtrisant très bien les théories, et constatant parfaitement leur inadéquation au réel. Dommage alors de revoir une énième fois Joaquin Phoenix dans le rôle d’un être alcoolique, paumé, dépressif, légèrement barré. A croire qu’on ne lui propose que ces personnages. Sans efforts, ce sont, par conséquent, les femmes qui prennent la lumière : Parker Posey en quête d’une seconde chance vers un rêve inaccessible, et Emma Stone, indécise sur la direction qu’elle doit prendre pour se lancer dans la vie.

Plus étonnant, le film est très moral, malgré quelques coups de canifs aux conventions (adultère, « bigamie », cannabis…). Le crime appelle le châtiment (et on s’en doute avant qu’on nous le signifie, livre à l’appui). Car il y a quelques gros traits dans le script. Woody Allen y va parfois avec de gros sabots, surtout quand il s’agit du personnage de Phoenix, asphyxié par sa vie, incapable de respirer et même de bander. Plus délicatement, toujours avec raffinement, le cinéaste réussit bien mieux à filmer les doutes qui assaillent les deux femmes. Posey incarne avec justesse cette épouse délaissée et en détresse qui va vouloir le sauver. Stone passe de la séduction à la confusion, bégaiement compris, avec une aisance admirable.

Oublions la masturbation verbale qu’il nous inflige parfois ou le didactisme des mots qui alourdit le jeu subtil de comédiens qui n’ont pas besoin de texte pour transmettre une émotion. Ne retenons que les meilleurs moments, car il y en a. La scène du dîner avec les parents de la jeune fille, autour d’une discussion théorique sur la manière dont on a été tué le Juge, est parfaitement maîtrisée. Tout comme la tentative d’un second meurtre près d’un ascenseur, à la fois cocasse, ironique et efficace. Habilement découpé, le récit navigue sans faillir entre déraison et cynisme, polar léger et romantisme désuet.

Se voulant atemporel, rejetant toute référence contemporaine, L’Homme irrationnel se repose un peu sur des fondamentaux éculés de Woody Allen : des personnages névrosés, de la fantaisie (sans que ce soit franchement hilarant), des dilemmes insurmontables. Et quelques répliques qui arrachent quelques sourires. Erudit et de bon goût, assez conformiste, le film ravira les fans, sans laisser un souvenir impérissable.

vincy



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