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L'ombre des femmes

Quinzaine des réalisateurs - Ouverture
France / sortie le 27.05.2015


LES FANTÔMES DES AMANTS JALOUX DE L’AUBE (BRULANTE)





"Lui ne le voulant pas, elle ne le voulant pas, ils se quittèrent."

S'il y a bien une chose de sûre, avec les films de Philippe Garrel, c'est qu'on y est généralement peu surpris par le fond comme par la forme. Dans un noir et blanc impeccable signé Renato Berta, l'ancien cinéaste expérimental nous conte donc une énième histoire d'amour contrariée dans laquelle les êtres et les sentiments ne cessent de se heurter et de se faire du mal, sous prétexte de ne pouvoir se passer les uns des autres. Dans un contexte atemporel (il faut un moment au spectateur pour réaliser que l'intrigue est située à notre époque), un homme et une femme s'aiment, mais se trompent, ne peuvent vivre l'un sans l'autre, mais ne semblent rien avoir à se dire, se déchirent, mais au fond s'ennuient ensemble. Tout le paradoxe des relations sentimentales et humaines concentré en un couple, ni plus, ni moins.

Plus que jamais, Philippe Garrel nous fait l'effet d'un Hong Sang-soo français, répétant jusqu'à la nausée le même film, avec juste d'infimes variations dans les détails de l'histoire ou du contexte. Cette fois, il porte un soin particulier aux personnages, plus intéressants que leurs atermoiements amoureux. Lui (un Stanislas Merhard abimé – car pauvre ?!) est le prototype du beau parleur sûr de lui, de mauvaise foi, vieux jeu et légèrement raté. En à peine une heure de film, toutes ses certitudes s'écroulent : il s'aperçoit qu'il ne comprend rien à rien et vit dans un monde de faux semblants. Elle, très convaincante Clotilde Courau, jusque dans l'affaissement de ses traits, est le prototype de la grande amoureuse, en apparence prête à tout par amour, y compris à s'abaisser devant un homme qu'elle domine de toute son intelligence. Passionnée et mutine, simple et joyeuse, elle n'est jamais telle que les autres la voient, son mari en tête.

Tous deux évoluent au centre d'une histoire d'adultère, de culpabilité et de non-dits qui tient plus du jeu amoureux que du drame passionnel ou social. Garrel traite d’ailleurs avec une légèreté presque badine ce chassé-croisé d’amants et de maîtresses en utilisant l’artifice du narrateur omniscient qui vient expliquer en voix-off les sentiments intérieurs des personnages ainsi que les rebondissements de l’intrigue avant même qu’ils aient eu lieu, comme un carton du temps du cinéma muet. Si l’on n’était encore totalement convaincu de l’approche éminemment ludique du cinéaste, la fin du film ne laisse plus aucun doute. A mi-chemin entre le vaudeville et la pure comédie, la révélation finale renverse le point de vue qu’on pouvait avoir sur les personnages en dressant un parallèle appuyé entre l’ancien résistant et le mari infidèle. On entendrait presque le réalisateur rire sous cape, ravi de son espièglerie, et tout à fait conscient de la parenté qu’on ne manquera pas de voir entre lui et son malheureux héros.

MpM



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