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Rencontre avec Diego Lerman

 

Refugiado

Quinzaine des réalisateurs - Compétition
Argentine / sortie le 13.05.2015


LE CŒUR BATTANT





Pour traiter le sujet complexe et brûlant des violences conjugales, le cinéaste argentin Diego Lerman (révélé par Tan de repente au début des années 2000) a pris bien soin d’éviter tout écueil scénaristique ou stylistique, pour se contenter d’un récit sec et retenu ainsi que d’une mise en scène qui joue habilement de toutes les nuances de la palette cinématographique. Tout commence dans un endroit confiné, avec un enfant muet plongé dans l’observation de ce qui l’entoure. Les plans sont fixes, recadrés à l’intérieur du cadre par des objets ou des perspectives, presque étouffants. On est dans une attente sourde, la même que celle du personnage que sa mère a oublié de venir chercher à un goûter d’anniversaire. Avec lui, on passe de l’observation distanciée à une angoisse sourde, de plus en plus prégnante, qui se transforme peu à peu en certitude tragique.

Puis, au fil du récit, les cadres s’estompent, la caméra s’anime, le rythme s’intensifie. On bascule dans un univers de thriller, tendu, précis, anxiogène. Le réalisateur ne nous épargne rien des affres d’une chasse à l’homme (à la femme, en l’occurrence) entièrement suggérée puisqu’elle se déroule principalement hors champ, mais pourtant éminemment efficace. Lorsque la dernière séquence de poursuite se termine et que les premières notes de musique se font entendre, le spectateur s’aperçoit qu’il était en apnée. Tout comme le film, qui reprend longuement son souffle dans une dernière partie apaisée et végétale.

Cette étonnante progression stylistique accompagne à merveilles les aléas de l’intrigue et parvient même à la soutenir lorsqu’elle s’enlise, ou au contraire s’affole un peu artificiellement suite à des rebondissements maladroits. Mais plus qu’une histoire particulière, c’est un cheminement hélas classique que raconte Refugiado, comme une allégorie vécue à hauteur d’enfant du parcours du combattant que traversent généralement les femmes victimes de violences conjugales qui essayent d’échapper à leur bourreau. Car ce sont bien elles qui doivent se comporter comme des criminels en fuite (le "refuge" qui accueille les protagonistes a même tout d’une prison) tandis que leurs compagnons violents demeurent libres de leurs mouvements.

Le film rend ainsi palpables la peur permanente et le sentiment terrible d’urgence qui habitent ces fugitives contraintes à renoncer du jour au lendemain à tout ce qui faisait leur existence. On perçoit, derrière l’aspect malgré tout assez polissé de la fiction, les non-dits d’une réalité moins photogénique et plus brutale. Tout le savoir faire de Diego Lerman est d’avoir misé sur la dimension formelle du film, plus que sur son potentiel lacrymal, pour dénoncer l’insupportable situation de ces femmes victimes d’une double peine. Il ne reste plus qu’à espérer, une fois de plus, que si le cinéma ne change pas le monde, il peut contribuer à le rendre un peu meilleur, et qu’ainsi Refugiado trouvera un écho auprès de ceux qui ont le pouvoir de changer les choses, en Argentine comme ailleurs.

MpM



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