39-98 | 99 | 00 | 01 | 02 | 03 | 04 | 05 | 06 | 07 | 08 | 09 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19


 
 
Choix du public :  
 
Nombre de votes : 26
 












 
Partager    twitter



festival-cannes.com
site internet du film

 

Snow Therapy (Force majeure - Turist)

Certain Regard
/ sortie le 28.01.2015


COUP DE FROID





« Je ne nous reconnais pas »

Ruben Östlund est un cinéaste à suivre. Il y a un style nordique, mélange d’humour pince-sans-rire, d’ironie, et une influence de cinéastes comme Haneke, où l’on s’attaque aux vaches sacrées de la civilisation (ici la famille et la figure paternelle) frontalement, de manière insolente, pour ne pas dire incorrecte. Snow Therapy (à l'origine Turist, et à l’étranger Force majeure) est emblématique de son cinéma cassant sur le fond, chaleureux dans sa forme.

Ce huis-clos dans une station de ski française est avant tout un exercice stylé qui séduit immédiatement. Les plans sont figés. Les décors presque rassurants. Et puis il y a cette avalanche, aussi somptueuse que brutale, effrayante que révélatrice des comportements de chacun. C’est furtif, comme toute catastrophe. Mais en quelques secondes, on comprend que tous les vacanciers ont peur, que la mère protège ses enfants et que le père fuit, ne sauvant que sa peau. Cette faillite du père, qui a échoué dans le rôle que la société lui a donné, qui n’a pensé qu’à travers son ego, déclenchera un cataclysme bien plus grand : des fissures dans le couple d’où naîtront des fractures insidieuses menaçant tout l’équilibre familial. Ce qu’on croyait sous contrôle est en fait cassé.

Dans cet écrin blanc, la déflagration amène une série de petits chocs sismiques. Le bonheur ne tient pas à grand chose. Les enfants chassent les parents de leur chambre. La routine est pesante. Le sexe n’est plus au rendez-vous. Le malaise est croissant. Le conflit est latent. De malentendus en incompréhensions, les vacances tournent au cauchemar. Mais pas l’hystérie. Tout est froid. Taillé au scalpel. Le cinéaste y introduit une réflexion sur le couple : la bourgeoisie classique (femme, mère, épouse) ou la liberté individuelle (accepter le cumul d’une relation longue durée avec des histoires courtes principalement sexuelles). Ôstlund provoque ou perturbe. Il remet en question le conservatisme post-libertaire des années 60, revendiquant une part de liberté sexuelle, et rejette la vision pré-révolution féministe où seul l’homme a le droit de s’aventurer hors du mariage.

Snow Therapy est profondément ancré dans notre époque. Le film assimile toutes les révolutions des mœurs des dernières décennies. La femme est l’égale de l’homme. Mais elle n’en a pas encore tous les moyens et ne s’autorise pas forcément à jouer d’égale à égal avec les mâles.

Tout l’enjeu est de savoir si la femme, pas vraiment heureuse, à la limite de la dépression, doit se séparer d’un époux qui l’a abandonnée en pleine catastrophe, qui continue de se mentir sur la version des faits, ou si elle doit à son tour mentir en sauvant les apparences. Mais le cinéaste, brillant, ne nous fait jamais plonger dans le sordide. Même dans les scènes les plus intenses dramatiquement, il sait insérer de la cocasserie. Il refuse de bousiller ce couple au nom d’une morale ou d’une psychologie facile. Raisonnements par l’absurde, dérision salutaire, situations quasi burlesques, l’atmosphère change de tonalités aussi souvent qu’un ciel de montagne. Il aime le hors-piste.

Snow Therapy se régale avec deux pères irresponsables et deux femmes affligées par leur lâcheté. Le péril n’est pas blanc et extérieur, il est masculin, et dans la demeure. Mais ça n’a rien de binaire : il restitue parfaitement la frustration du patriarche, contraint d’hurler dans son coin. Le mâle est instinctif, menteur, infidèle, tricheur, pathétique. Un petit garçon qui n’a pas su grandir. Certes. Mais la femme lui en demande aussi un peu trop. Les deux sexes ont le cul entre deux chaises.

Avec des angles de vue sans faute, une écriture imaginative et un ton de comédie glaçante, les crises de nerfs des uns et des autres sont réjouissantes, intérieurement. Ruben Östlund parvient à nous guider vers son final (sur une piste en plein brouillard, où l’un des membres de la famille disparaît), vers la fin de la thérapie en gardant le contrôle : on ne sait jamais vraiment ce qui va se produire, jouant avec nos nerfs. Vertiges de l’amour et de la mort où le spectateur, malmené du début à la fin, s’interroge sur l’étrangeté de cette conclusion, qui va osciller entre solidarité et sacrifice, tragédie et apaisement, avant le dénouement, presque mineure par rapport au reste de l’œuvre.

vincy



(c) ECRAN NOIR 1996-2024