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Mommy

Sélection officielle - Compétition



J’AI TUÉ MON FILS





«- La vie c’est comme le poker, si t’as pas une bonne paire, tu peux pas gagner ».

S’il fallait encore prouver que Xavier Dolan est un grand metteur en scène, sans doute la jeunesse doit-elle faire davantage ses preuves dans ce monde vieillissant et conservateur, Mommy apporte une réponse irréfutable à nos yeux : le cinéaste québécois a réalisé un film brillant. Renversant.
Après J’ai tué ma mère (liaison périlleuse entre une mère et son fils), Les amours imaginaires (histoire d’amour à trois), Laurence Anyways (fresque identitaire) et Tom à la ferme (deuil troublé, menace permanente), Mommy apparaît comme la somme de tous ses précédents films. Au point de les faire apparaître comme quatre gribouillages et un film géant.
Si Mommy forme un diptyque inconscient avec son premier film, J’ai tué ma mère (jusqu’au choix d’Anne Dorval dans celui de la mère), il est formellement plus proche de Laurence Anyways par ses ambitions. De même, il est davantage le prolongement de Tom à la ferme par sa tension et des Amours imaginaires par sa narration.
Et pourtant, il s’agit bien d’une œuvre profondément originale. Xavier Dolan a évacué toute forme de maniérisme sans perdre son style et a évité les ralentis répétitifs sans abandonner son sens du rythme. Il s’est réinventé.

Un format original, un humour décapant

On peut le comprendre en une séquence qui intervient au début de la seconde moitié du film. Durant une heure et quart, l’écran est un quadrilatère. Comme une pochette de CD. Un carré qui enferme les personnages dans leur histoire, qui est au plus près des visages comme un selfie instagram. L’effet est déjà saisissant. Le récit avance, la relation entre les personnages se consolide. Le bonheur est enfin de retour pour ces trois âmes brisées par la vie. Il y a des rires, de la joie. La mère et la voisine sont à vélo, le fils sur un skateboard (pardon un longboard). Il fait beau, ils sont libres. Et là, par un effet (qu’on ne révèle pas) aussi simple qu’évident, aussi beau que ludique, l’écran s’agrandit en cinémascope. Le spectateur prend alors un grand bol d’air. Rarement un format d’écran n’a été au service d’une sensation comme c’est le cas dans Mommy. Quand la vie s’étrique, le cadre se resserre. Tellement belle idée.
Autre élément que Dolan a apporté à ce film, à son cinéma : l’humour. Ce n’est pas qu’il était absent des drames précédents, mais là il est franc, direct, frontal. Certaines répliques sont même hilarantes, alors que le film est réellement tragique, et bouleversant.
Ce mélange d’émotions et les audaces cinématographiques produisent le film le plus généreux, le plus riche, le plus profond et le plus intense de la filmographie de Dolan, qui semble ici atteindre une maturité dans son art.
Il est étonnant de voir une telle maîtrise, à tous les niveaux : le scénario, qui contourne tous les écueils et le pathos que l’on pouvait craindre et que de nombreux cinéastes nous auraient imposés, la direction d’acteurs, tous formidables, la mise en scène et le montage, qui varie les tonalités sans jamais de fausses notes.

Des gens au bord de la crise de nerfs

L’écriture des personnages, pour lesquels on a rapidement une forte empathie, contribue au plaisir à suivre cette histoire, qui se déroule en 2015, alors que le Canada a voté une loi permettant aux parents de déléguer leur responsabilité à l’Etat quand leurs enfants sont dangereux ou dérangés. Avec cette enclume au dessus de la tête, le spectateur se demande constamment comment, quand et pourquoi Diane (qui signe D.I.E., tout une métaphore pour une mère) va envoyer Steve dans une institution. Car si tout va mal au départ (l’ado semble être né avec un passeport pour la prison), tout s’améliore au fil des semaines, au contact d’une voisine, qui a un sérieux souci de diction lié à un traumatisme. Jusqu’à atteindre un trio fusionnel affectivement. La mère n’est pas aussi fantasque qu’on ne pouvait le croire. Elle a même une solidité et un sens des responsabilités qui cachent une réelle vulnérabilité. La voisine peut être d’une autorité glaçante et terrifiante alors qu’on l’imaginait dans un coma dépressif, coupée du monde. Le gamin a beau être effectivement schtarbé et extrêmement violent, comme échappé d’un film de Gus Van Sant, cela reste « un bon gars ».
Individuellement, en couple, ou à trois, les relations se nuancent subtilement tout au long du film, de la complicité au « fun », de la peur à la douleur. On peut passer ainsi d’un dialogue sur les rapports mère fils autour de la branlette (« y a pas moyen de s’astiquer tranquille ») dont la chute est mémorable à une diatribe politiquement incorrecte contre un chauffeur de taxi noir (« J’suis pas raciste, mais putain c’est un nègre ! ») tout en chantant et dansant à trois sur du Céline Dion, « trésor national, ostie », l’un des deux moments queer du film. Celui-ci est particulièrement énergique. Dolan n’a aucun tabou, aucune limité. Il peut mélanger la chanson de variété italienne avec un tube rock ou pop anglosaxon, comme il peut nous figer devant un baiser incestueux troublant ou nous étouffer avec un montage serré illustrant une hallucination oppressante.

Tout sur l’amer

Ça n’empêche pas les insultes, les coups, la strangulation, la violence conjugale finalement. Mais rien n’est manichéen. L’amour d’une mère se renforce avec l’âge, l’amertume aussi. Mais à ce moment-là, la mère te le fils sont encore dans la passion, à l’âge où l’ado adore, adule toujours sa maman. Outre les deux magnifiques portraits de femmes (leur séquence finale est déchirante, à la fois pudique et absolue) que Dolan a imaginé (comme deux facettes d’une mère idéale), le réalisateur a aussi écrit un personnage d’adolescent très juste, avec toutes ses pulsions, ses idéaux, ses révoltes. Ici, c’est évidemment excessif. Cependant cela ne manque jamais de grâce. Une sainte trinité qui a su reconquérir la confiance par l’amour. Et qui de nouveau croit en la vie.
Car il s’agit bien d’avoir la foi. L’espoir qu’un jour tout aille mieux. Même quand tout part en vrille. Manipulateur, le cinéaste n’hésite pas à nous envoyer dans un rêve idyllique (somptueuse séquence), un tourbillon de la vie, avant de nous exposer à une réalité cauchemardesque. « Putain de nature humaine ».
Élégant et courageux, le film est à l’image du talent du cinéaste. Ces deux mères sont universelles. Les propos nous renvoient à chacun une part de vérité vécue. L’espoir a beau être au cœur de son message, le film a beau se finir sur un élan libérateur, nous sommes sonnés par la tragédie humaine qu’il nous a offerte.
Comme il est dit au début du film : « C’est pas parce qu’on n’aime quelqu’un qu’on peut le sauver ». L’avertissement a été entendu, contredit, appliqué. Deux heures de montagnes russes qui ensorcellent le spectateur, pour son plus grand ravissement.

vincy



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