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festival-cannes.com

 

Deux jours, une nuit

Sélection officielle - Compétition
Belgique / sortie le 21.05.2014


LE CHOIX DE SANDRA





"Le seul moyen d'arrêter de pleurer, c'est de te battre pour garder ton boulot."

L'aspect répétitif du nouveau film des frères Dardenne est directement induit par son sujet : une femme a un week-end pour convaincre ses collègues de travail de l'aider à garder son emploi en renonçant à une prime. Cette croisade désespérée est l'occasion pour les réalisateurs de faire un catalogue des situations sociale et des réactions possibles face à un dilemme insoluble. Il y a ceux qui ont honte de ne pas la soutenir, ceux qui lui reprochent de vouloir leur prendre leur prime, ceux qui décident de l'aider après tergiversation... Tous incarnent, en quelques plans, une réalité contemporaine : travail au noir le weekend pour joindre les deux bouts, difficulté à payer les études des enfants, famille déjà touchée par le chômage... Chacun a un besoin légitime d'un peu d'argent supplémentaire. "Mille euros, ça représente un an de gaz et d'électricité" résume l'un des protagonistes.

Tous les cas de figure sont ainsi soigneusement représentés, même celui où un homme énervé finit carrément par taper sur la jeune femme. Dans l'indifférence générale, il faut le souligner, un peu comme si, au fond, elle l'avait bien cherché... Car la position de Sandra est inconfortable : en faisant appel à la solidarité de ses collègues, elle les place dans la situation délicate de devoir assumer leur choix. Ceux qui refusent de l'aider en éprouvent une immense culpabilité et lui en veulent d'avoir éveillé ce sentiment en eux. D'où l'ambivalence de la démarche, à la fois utopique et gênante. Le personnage de Sandra oscille d'alleurs pendant tout le film entre combativité douce et honte autodestructrice.

Car au fond, Deux jours et une nuit est symptomatique de l'époque et de la dégradation galopante de la situation sociale. Si l'on était dans un film de Robert Guédiguian des années 90, ce sont les ouvriers eux-mêmes qui proposeraient au patron un arrangement pour éviter un licenciement. Mais désormais les mentalités se sont durcies. Les luttes sont individuelles et non plus collectives. On ne défend plus la victime face au patron, mais ses propres intérets contre ceux des autres. Sandra doit aller "mendier" (comme elle dit) un acte de solidarité qui aurait autrefois été spontané.

A leur manière, et comme ils savent si bien le faire, Jean-Pierre et Luc Dardenne portent un regard humain et bienveillant sur leurs personnages, même les plus abrupts, qu'ils ne condamnent jamais. A la limite, les plus réticents, ou ceux qui refusent d'aider Sandra, sonnent même parfois plus justes que les autres, présentés de manière un peu trop angélique pour ne pas sembler caricaturaux. C'est là, dans cette gentillesse un peu mièvre, que réside la principale limite de Deux jours, une nuit. Sensible et n'échappant pas aux bons sentiments, le film ne s'avère pas assez dur, pas assez pervers lui-même, pour dénoncer la perversité du système dans toute sa splendeur. La violence intrinsèque du dilemme devant lequel se retrouvent les employés et la manipulation effectuée pour le patron pour court-circuiter tout mouvement de solidarité auraient peut-être nécessités un ton plus acerbe, et surtout moins didactique. Car en observant le parcours de Sandra (finement écrit), on sent perpétuellement la main bienveillante des cinéastes nous guider sur le chemin d'une prise de conscience quasi pédagogique. Même les rebondissements un peu secondaires (la relation de couple de Sandra et son mari, le divorce de sa collègue, l'abus d'anti-dépresseurs) semblent être là pour surligner le message principal du film.

Jusqu'à la conclusion finale (se battre est déjà une victoire en soi) qui, dans la manière dont elle est présentée, ressemble à une théorie de développement personnel. cela tient en partie au jeu contrasté de Marion Cotillard, qui tire des larmes lorsqu'elle se met à nu (notamment lorsqu'elle expose encore et encore sa situation à ses différents interlocuteurs, la voix presque cassée par l'appréhension), mais agace dès qu'elle est dans la performance : crises de larmes, auto-dénigrement, et revirement soudain des derniers plans. Jean-Pierre et Luc Dardenne aiment bien être les "gentils" du cinéma réaliste (la plupart de leurs films parlent de rédemption), mais leur film aurait gagné en puissance dramatique avec un final moins ouvertement positif en forme de leçon de morale.

MpM



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