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Still the Water (Futatsume no mado)

Sélection officielle - Compétition
Japon / sortie le 17.09.2014


VIVRE !





«- Kaito, je t’aime.
- Merci.
- Et toi ?
- Je t’aime.
»

Incontestablement, Still the Water est le plus grand film de Naomi Kawase. Tout en restant fidèle à ses thématiques, elle est parvenue à tisser une œuvre complexe et riche, poétique et bouleversante, avec un récit universel, compréhensible et atemporel. Le scénario est moins alambiqué et les allégories plus faciles à décoder. Ce qui apparaîtra énigmatique trouvera à chaque fois sa réponse. Pourtant elle ne renie rien. Ni sa mise en scène qui aime tant mélanger le style documentaire et un naturalisme séduisant, ni l’onirisme, ni la chair, élément aussi indispensable que l’eau (omniprésente) ou l’air.

Avec intelligence, le film repose formellement sur trois piliers. Lors d’ébats charnels, ce sont les muscles qui sont en mouvements, au plus près. Pour mourir, on contemple un vieil arbre de 5 siècles dont les feuillages bruissent paisiblement et jouent avec le soleil. Si l’on veut créer, la ville sert d’électricité. Mouvement, contemplation et inspiration.

Avec de fortes résonances au cinéma des studios Ghibli – aussi bien Takahata que Miyazaki (dont un épisode sur la fin rappelle étrangement Ponyo sur la falaise) – elle nous parle d’amour et de mort avec une légèreté apparente et une humilité qu’elle revendique. Still the Water est un récit initiatique sur l’apprentissage de la vie. Et on apprend à tout âge : les parents comme les enfants. C’est un film sur la quête du bonheur aussi, sur la recherche d’un équilibre. Kawase imagine alors un entrelacement d’énergies – la ville, Tokyo, la nature, sacrée, l’amour – qui aboutit à la nécessaire symbiose entre l’homme et son environnement. Voir ce jeune couple (magnifiques Nijiro Murakami et Jun Yoshinaga) nager nus ensemble dans la mer en se tenant la main apporte une quiétude rarement ressentie au cinéma.

C’est sans doute là que réside le secret de cette force qui tire le film et arrache même quelques larmes au spectateur. La réalisatrice sait transmettre les sensations et les émotions qu’elle filme. Nous sommes immergés dans son histoire et ressentons chacun des palpitations. Lorsqu’elle film l’océan, puissant, rugissant, dominant, il nous terrifie comme il effraie le jeune Kaito. Et si sa caméra s’aventure dans une forêt silencieuse et luxuriante, c’est pour mieux nous apaiser et nous faire vibrer devant un baiser. Lorsque les deux amoureux sont sur leur bicyclette, à filer à toute allure, nous sommes enivrés par la vitesse, par cet esprit de liberté qui les anime.

Dans un Japon loin du modernisme, encore attaché aux traditions, aux chants immémoriaux et aux croyances chamaniques, sur une île subtropicale à l’écart de la mondialisation, deux adolescents, amoureux, doivent se confronter à une réalité difficile : la mort proche de la mère de la jeune fille, la séparation des parents, toujours pas digérée, par le jeune homme. Chacun va devoir faire l’expérience de la perte : une âme qui s’envole, une innocence qui disparaît. Chacun réagit à sa façon. Les personnages de Kawase sont régis par des personnalités fortes. Et quand on croit que l’un d’eux manque de courage ou de détermination, on se trompera : l’introverti exprimera soudainement, violemment ce qui le trouble et même le perturbe à en faire des cauchemars. La finesse de l’écriture et la beauté des comédiens qui donnent vie à ces personnages produisent une empathie irrésistible. La cinéaste place ainsi la jeune adolescente au cœur de son film.
Tandis que le jeune homme a peur du vivant, mu par des valeurs conservatrices, elle aime nager dans cette mer si vivace et accepte de ne pas tout comprendre. Elle retient le conseil du « sorcier » : la jeunesse est faite pour faire ce dont on a envie. Elle devient alors de plus en plus directe. Plus en harmonie avec elle-même, Kyoko peut sembler plus dominante, consciente de ce qu’elle veut. Lui n’a que des peurs et des doutes. Il lui faut donc des électrochocs pour évoluer : son père qui lui explique que le destin se construit dans la durée, sa mère soudainement absente durant une tempête. Mais lui aussi va comprendre que la vie est un passage éphémère, et qu’il faut en profiter. Les adultes l’ont compris depuis longtemps, tentant d’être le plus libres possibles.

Avec délicatesse et minimalisme, Kawase nous emporte dans son conte flottant. Car il y a de la légèreté. Durant la longue séquence où la chamane est en train de mourir, les chansons mélancoliques accompagnent ce voyage vers l’au-delà. Mais il y aussi de la profondeur : on ne connaît que la surface des choses. Or, comme dans les océans, les fonds abyssaux restent mystérieux pour nous tous. Cette modestie qui imprègne tout son scénario se retrouve dans sa mise en scène. Sa caméra ne cherche pas de plans élaborés. Si elle répète certaines séquences, c’est pour leur donner un autre sens, montrer que les choses changent. Avec une construction quasiment symétrique, le film boucle la boucle : les premières images montraient l’océan, où va se noyer un homme. L’océan redevient menaçant quand l’amante de cet homme ne répond plus au téléphone. De même, lorsqu’on égorge une chèvre, un mort surgira quelques plans plus tard. Kawase est là pour regarder les forces invisibles qui nous font avancer.

Fable écologique, Still the Water place la nature au cœur des peurs et des désirs. « Il faut rester humble devant la nature. Rien ne sert de la tenter ou de lui résister ». La nature, ça peut être aussi l’attirance entre deux êtres. L’union des corps en communion avec la forêt qui les entoure ou l’eau salée qui les enveloppe. Atteindre une telle plénitude, une si belle sérénité après les grosses tempêtes et les petites tragédies, ce n’est jamais facile au cinéma. Pourtant, Naomi Kawase y parvient, tout en nous émouvant généreusement, sans distance, avec simplicité. Le film imprime alors sa marque dans nos esprits comme un tatouage sur la peau.

vincy



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