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Timbuktu (Tombouctou)

Sélection officielle - Compétition



HONNI SOIT QUI AU MALI PENSE





« Je sais d’où vient la musique. Ce sont des louanges à Dieu et à son prophète. Je les arrête ? »

Abderrahmane Sissako nous met presque K.O. avec Timbuktu. Le sujet fut si inflammable qu’il a du le tourner (en Mauritanie, loin de Tombouctou au Mali) sous protection armée. En souhaitant montrer l’occupation de la ville par des djihadistes, il nous entraîne dans un labyrinthe où l’on découvre au hasard des tournants et des impasses, le quotidien des habitants et celui des occupants.

Tout commence avec des œuvres d’art primitif qui servent de cibles pour s’entraîner au combat. La musique est triste. Puis un occidental est volontaire pour devenir terroriste. C’est mal parti. Pourtant, le cinéaste va nous embarquer dans un conte tragique qui va nous frapper à coups d’uppercuts. Dans cette ville où tout est interdit – cigarettes, musique, rap, adultère évidemment, les pieds nus pour les femmes, les pantalons qui traînent au sol pour les hommes – chacun est menacé. A la manière d’un Elia Suleiman, Sissako nous raconte cette drôle de guerre avec ironie. L’absurdité des Lois soi-disant islamiques inspire des séquences brillantes : le football est peut-être interdit, mais rien n’empêche les djihadistes de comparer les vertus de Messi et Zidane ni les ados de jouer au foot, sans ballons (scène proche du génie cinématographique). De la somme de toutes ces contradictions (les djihadistes se cachent pour fumer ou danser), il en résulte une absence totale de liberté.

Mais le film devient universel dès qu’il s’agit des conditions de la femme en Afrique sub-saharienne. Si le réalisateur sait alléger son propos avec de jolis moments de grâce, ou des personnages pittoresques comme cette femme intouchable aux airs de Karaba dans Kirikou, mi-sorcière, mi-démente, sa caméra ne tremble pas quand il s’agit de montrer la souffrance des condamnés, aux coups de fouets comme à la lapidation. Instants de choc qui bouleversent et démontre la bêtise et la barbarie (médiévale) de ces hommes qui s’autoproclament juges.

En variant les tons, en multipliant les personnages principaux, Sissako essaie de couvrir tout le spectre de son sujet. De la religion tyrannique à la peur individuelle, mais pas seulement. Le scénario s’offre des parenthèses jouissives comme cette séquence où le jeune djihadiste français semble peu convaincu de son discours appelant au djihad, malgré l’aide de son coach. Ou encore cette nécessité d’avoir recours à de multiples traducteurs, puisque personne ne parle la même langue. Incompréhension personnelle, incompréhension collective : on se désole de voir tant d’horreurs au nom d’un Dieu, forcément affligé. Ainsi, parce qu’ils ne parlent pas la même langue, deux hommes vont se disputer et provoquer l’irréparable. La spirale infernale peut ainsi vriller vers les enfers. Tout ça à cause d’une vache qui a été tuée parce qu’elle n’allait pas où il fallait. C’est là où le réalisateur donne une dimension humaine et cinématographique à son drame.
Le plan est large, on domine ce lac où ont lieu la mort de la vache et la bagarre entre les deux hommes. L’étendue d’eau est comme un miroir à un soleil couchant somptueux dans une atmosphère nébuleuse. Au loin, l’un des deux hommes traverse ce lac pour rejoindre les siens, tournant le dos à celui qui essaie d’arriver au rivage, malgré sa blessure. La petite tragédie humaine est écrasée par un monde immuable, une nature impériale. Si certains plans sont volontairement très esthétiques, à l’image de celui tout juste décrit, la caméra est avant tout alerte, collée aux visages. Le regard du cinéaste est frontal. L’intolérance est dénoncée, sans que cela soit didactique. La folie des hommes semble le révolter. Et cette colère se transmet au spectateur avec ce final qui nous aspire dans un entonnoir où l’on espère malgré tout une issue.

Timbuktu n’est pas seulement un film bien mis en scène, avec de très belles idées. C’est un cri silencieux venu d’Afrique pour nous rappeler que, parfois, la seule solution, c’est de fuir ce malheur avant qu’il n’attrape les innocents. En attendant, nous voici sonnés par une fiction aussi poétique qu’engagée.

vincy



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