39-98 | 99 | 00 | 01 | 02 | 03 | 04 | 05 | 06 | 07 | 08 | 09 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19


 
 
Choix du public :  
 
Nombre de votes : 20
 












 
Partager    twitter



festival-cannes.com
Article sur le fait divers réel (Rue 89)
Compte Twitter
Page Facebook du film
site internet américain

 

Fruitvale Station

Certain Regard
USA / sortie le 01.01.2014


LA COULEUR DES RESSENTIMENTS





«- J’ai besoin de ce job ! Tu préfères que je deale ?!»

Grand prix à Sundance, Fruitvale Station est une chronique inspirée d’un fait divers réel mélangeant tous les ingrédients explosifs d’une société au bord de la rupture : précarité économique, discrimination raciale, abus de pouvoir, injustice, impossible réinsertion, …

La mise en scène se veut à la fois réaliste et par certains moments lyriques. Le personnage principal, la victime au destin fatal, est d’emblée sympathique. Tous les seconds rôles illuminent un film qui fonce vers une noirceur anxiogène.

S’il n’y a rien de bien neuf dans cet archétype de cinéma indépendant américain – hormis, peut-être, l’usage intensif d’insertion de SMS à l’écran et plus globalement de différentes formes d’images (smartphone, vidéosurveillance…) – Fruitvale Station est un joli récit fractionné de flash-back sur un brave gars qui cherche à se reconstruire.

La dignité, la droiture même, du personnage principal amène le spectateur à être de son côté quand les choses vont se gâter. En étant à ce point partisan, le film prenait le risque d’être binaire. Il vire même au mélo (grâce à la formidable Octavia Spencer). Lorsque la bavure policière survient – saisissantes séquences, - que la cruauté et la sauvagerie transforment un malentendu en dérapage ignoble, le spectateur est du côté des témoins, prêt à conspuer le flic raciste, qui, conscient de son acte horrible, cherche quand même s’excuser.

L’effroi et le choc nous stupéfaits. On comprend alors la force d’un cinéma-vérité après tant de scènes plus proches d’un reality-show familial. Fruitvale Station est ainsi bancal, comme une chaise musicale à laquelle il manque toujours un pied. Ce n’est qu’en abordant la réalité de manière la plus crue, radicale, épurée, qu’il parvient à nous accrocher. Mais, entre temps, tout a été écrit pour orienter notre jugement, et nous révolter contre le coupable.

Assez convenu dans la forme, suffisamment malin pour nous électrocuter quand il le faut, ce fait divers tragique est un hommage à la victime. Un documentaire aurait suffit. Mais, reconnaissons la force de la construction narrative et des images : les larmes n’ont pas besoin d’être accompagnées de musique.

Pourtant, au final, la chaise est toujours bancale. En oubliant le principe même qui fonde les valeurs de justice (un coupable a le droit d’être entendu), Fruitvale Station se termine trop abruptement. Il s’achève même là où il aurait du commencer : l’histoire d’après, celle du procès, de la folie policière, de la rage d’une communauté, n’est jamais abordé. Même hors champ. Pourtant cette histoire existe bien. Et elle aurait donné un angle bien plus riche à un drame qui se complait dans l’éloge. En nous frustrant d’une version alternative ou enrichie des faits, en refusant d’aller plus loin, Ryan Coogler joue la facilité plutôt que d’aborder frontalement les choses qui fâchent, et qui pourraient nous éclairer sur ce clivage entre les citoyens et la police.

Vincy



(c) ECRAN NOIR 1996-2024