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L'inconnu du lac

Certain Regard
France / sortie le 12.06.2013


MAUVAISE FRÉQUENTATION





"Je reste seul parce qu’on ne vient pas me voir."

Alain Guiraudie doit s’amuser comme un petit fou devant les réactions provoquées par l’immense pied de nez lancé dans L’inconnu du lac à toute une France pudibonde et réactionnaire. Pensez donc : non seulement le film se concentre sur un microcosme homosexuel jouisseur et joyeux, mais en plus les personnages sont entièrement nus pendant la moitié des scènes. Et quand on dit "nus", cela signifie que les esthétiques plans fixes du réalisateur les montrent frontalement, en plans larges, dans des situations qui ne dissimulent rien de leur intimité.

Il affectionne notamment la pose un peu avachie des sexes qui s’abandonnent pendant une sieste au soleil, et les corps à corps brûlants (et explicites) dans les fourrés attenants. Les deux types de plans se répètent si souvent qu’ils en deviennent parfaitement banals. Une banalisation salutaire, à l’unisson du récit où cette nudité épanouie n’est jamais réellement un sujet de conversation (hormis lorsque le bien élevé Franck demande l’approbation d’Henri avant d’enlever son short, prétexte à un dialogue plein de fantaisie).

On est donc prévenu : le film ne questionne pas plus le naturisme que l’homosexualité. Il se situe juste dans ce contexte particulier, concentré dans les abords du lac qu’il ne quitte d’ailleurs à aucun moment, laissant hors champ la "vraie vie" des baigneurs, dont on sait au final peu de choses. Ce décor unique pourrait être étouffant ou artificiel, malgré les différents espaces qui le composent, de la plage de galets à l’eau du lac, en passant par le parking et les fourrés. Mais ce serait compter sans la végétation et le soleil qui semblent l’étendre à l’infini. D’ailleurs, puisque l’on ne connaît pas les frontières de ce petit paradis caché, il donne peu à peu l’impression d’occuper tout l’espace disponible, voire de représenter la réalité dans sa globalité.

Et de fait, pour le spectateur, il est la seule réalité tangible, avec ses codes, ses légendes (le fameux silure géant du fond du lac) et ses rites. C’est là que l’on retrouve le talent d’Alain Guiraudie pour inventer des réalités entre deux eaux, à la fois proches de notre monde, et traversées par des fulgurances d’un autre temps, voire d’une autre galaxie. Le décalage, ici, naît du regard porté sur les us et coutumes des habitués du lac. Ce regard malicieux qui s’arrête sur les situations cocasses (un voyeur prêt à se masturber devant tout et n’importe quoi, un jaloux maladif, un égaré cherchant des femmes dans ce haut lieu de rencontres gay…) et observe les échanges savoureux entre les plagistes. Entre autodérision et poésie lunaire.

Le réalisateur joue également du mélange des genres, qu’il affectionne depuis ses premiers films. L’inconnu du lac oscille ainsi entre comédie et polar, avec des incursions de comédie romantique et même de film d’horreur. La chaude lumière (naturelle) des premières séquences laisse peu à peu place à des crépuscules inquiétants, entre chiens et loups, où les ombres se dressent, fantomatiques. Qu’un tueur hante les rives du lac plongées dans cette opacité trouble fait basculer le récit dans une tension plus palpable, plus anxiogène.

La mise en scène très structurée de Guiraudie vient alors en contrepoint pour donner une ampleur supplémentaire au propos, à grand renfort de larges plans fixes et de panoramiques aérés. On s’extrait naturellement de l’apparente pochade sympathique et bon enfant pour aller vers un cinéma intense et brillant qui s’inscrit dans une démarche formelle exigeante et divertissante à la fois. Entre fable mythologique et thriller métaphysique, L’inconnu du lac montre avec humour et férocité qu’il va bien au-delà de la provocation "facile" ou des "dérives pornos" dans lesquelles certains aimeraient le cantonner. Un grand film moderne qui bouscule les cadres, en plus des corps et des cœurs.

MpM



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