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La Grande Bellezza

Sélection officielle - Compétition
Italie / sortie le 22.05.2013


LE GRAND CARNAVAL





« - Tu as changé de couleur de cheveux ?
- En ce moment, je me sent pirandellienne.
»

Qu’on déteste ou adore le cinéma de Paolo Sorrentino, son formalisme esthétisant (pour certains maniérés) le distingue de tous ses confrères italiens et même européens. La Grande Bellezza ne fait pas exception. Il agacera les détracteurs qui trouveront une fois de plus son cinéma glacé et présomptueux. Et pourtant, ce film, hymne à la vie autant qu’à la beauté, déclaration d’amour à Rome, n’est ni l’un ni l’autre.

De la citation de Céline extraite du Voyage au bout de la nuit (toute vie est un voyage) au générique de fin traversant Rome à bord d’un bateau sur le Tibre, nous voici immergés dans un « trip » aussi extravagant qu’hypnotique, aussi fascinant que métaphysique. Envoûtant et mystérieux, sans intrigue particulière, La grande bellezza se risque à partir à la recherche d’un temps perdu. Tel Proust, Sorrentino décrypte une société de mondains, entre décadence et mélancolie, en quête d’un bonheur idéal impossible. Son héros regarde le paquebot Concordia échoué, comme le cinéaste contemple l’Italie en train de couler.

Avant lui les Fellini (auquel il emprunte beaucoup de son cinéma, notamment son onirisme, dont Servillo lui sert de double comme Mastroianni l’était pour Il Maestro), Scola et autre Ferreri avaient déjà rompu avec le néo-réalisme italien pour souligner tous les excès d’une ville écrasée par son passé mythique. Le cinéaste confronte ainsi un univers perpétuellement superficiel et vaniteux, peuplé d’une élite née riche ou autrefois glorieuse, à un homme qui s’interroge sur le déclin de l’empire romain. La ville est hantée par des morts statufiés et ne vibre qu’avec des zombies baiseurs et collagénés. A l’instar de Mastroianni dans La dolce vita il recherche le bonheur et l’amour en étant, hélas pour lui, lucide, parfois cynique, presque déprimé, ou en tout cas insensible, à ce grand cirque.

Car La grande bellezza est une œuvre surréaliste (avec en guest Fanny Ardant telle une apparition et une girafe pour une disparition) et extravagante, au sens lynchien du terme (on ne peut qu’y penser en voyant le personnage de la naine éditrice). La grande fête qui sert d’introduction rend l’ambiance électrique et donne le ton : un tourbillon de la non-vie. La caméra, comme si elle était posée sur un wagon dans un grand huit, et le découpage très maîtrisé soulignent ce capharnaüm vertigineux. Les musiques, images et mots se percutent avec fracas. L’hystérie est totale et passe de l’étrange au bizarre.

Mais sous ce vernis, il n’y a que du vide. Du snobisme intellectuel de pseudo vedettes à la contamination d’une communauté par l’exhibitionnisme, le fric et le strass, ce vulgaire bling bling s’avère toc ; pourtant il a dévasté toute réflexion idéologique, toute utopie politique, tout désir de s’ouvrir au monde extérieur. On préfère danser la Calita entre soi que de chercher à exprimer une quelconque opinion personnelle. Sorrentino attaque frontalement le narcissisme de nos sociétés, avec un humour sarcastique et des dialogues presque littéraires. Les mots sont une arme : parfois ils tuent une réputation, comme on exécute sommairement un condamné à mort.

Les êtres sont le néant qui l'intéresse tant dans un microcosme où le bruit fait fureur. Des êtres médiocres, mesquins, menteurs, méprisants autant que méprisables et pourtant si humains… Car le brio du réalisateur est d’insuffler cette humanité, notamment à travers quelques amitiés hors milieu : un vieux garçon un peu naïf, une strip-teaseuse plus si jeune, une vieille religieuse et le veuf de son premier grand amour (et unique). Si le film n’avait été que cinglant, le cinéaste aurait été coupable de s’y complaire. Avec ces personnages, il obtient de larges circonstances atténuantes ; notamment lorsque certaines séquences s’avèrent un peu superflues, faisant flotter le film sur les méandres d’une histoire qui cherche sa direction finale. Par quelques trouvailles visuelles et grâce à un bel imaginaire, ils parvient à capter notre attention quand on n’attend plus rien d’autre qu’un dénouement.

On comprend alors que Sorrentino a voulu sauver son héros, dont le désir et la foi sont anesthésiés. Un homme qui décline comme Rome, ville qui n’est plus ouverte, tous deux étant au bord du gouffre. Dans cette capitale filmée comme un théâtre des illusions, au milieu de ces gens si laids (intérieurement), seule la contemplation de la beauté (même celle d’un souvenir) peut le sauver. C’est en cela que La grande bellezza est abouti : il magnifie le vide apparent, visible, l’esthétise à outrance, tout en lui donnant un véritable sens, presque mystique, en tout cas artistique, pour dénoncer ceux qui ont creusé la tombe de la fin de cette autrefois brillante civilisation. Il rend l’horreur "bellissima", sans qu’on ne soit choquer, mais pour mieux nous hanter.

vincy



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