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Tel père, Tel fils (Soshite Chichi Ni Naru - Like Father, Like Son)

Sélection officielle - Compétition
Japon


LE FILS UNIQUE (HITORI MUSUKO)





«- Il dit qu’il veut faire comme papa.»

Hirokazu Kore-eda n’a pas été cherché très loin l’inspiration : un échange d’enfants à la naissance est un sujet classique pour faire surgir le drame dans les familles. Pourtant Tel père, tel fils aborde ce thème avec délicatesse et subtilité. S’il n’avait pas rendu son film aussi prévisible (chaque étape semble déjà vue), se laissant ainsi aller à quelques langueurs, le cinéaste japonais aurait frôler l’excellence avec une œuvre comme on les aime, exquise et humaine.

Sans doute le réalisateur, habile critique du système rigide japonais, y verrait un compliment : l’imperfection est plus saine que la quête absolue de la perfection. C’est là que réside l’une des failles qui va fissurer progressivement la maison idéale d’un architecte : une épouse dévouée, docile et jolie, un fils qui entre dans l’élite des écoles privées, une carrière en pleine ascension - et le respect intime de son chef qui va avec -, une vie prospère (berline noire, appartement avec vue sur Tokyo). Tous ces signes extérieurs de richesse qui glorifient l’ego. Pour lui, l’échec n’est pas pensable. Mais un grain de sable va faire dérailler sa destinée et celle de son fils, qui n’est finalement pas sa progéniture. Cette sortie de rail n’a rien de brutale. Elle s’opère jour après jour, subrepticement. Les murs de son foyer ne vont pas s’effondrer comme sous l’effet d’un séisme. Mais le temps, inexorablement, va achever son œuvre, jusqu’à dévaster toutes ses certitudes et remettre en question ses décisions.

Pour cela, Hirokazu Kore-eda va confronter deux Japons. Héritier d’Ozu, le cinéaste, l’un des rares à manier l’ironie et l’humour dans une culture où seul le premier degré fait rire, va opposer le cadre supérieur (costume, cravate, mallette) de la capitale à un petit commerçant (mal coiffé, débraillé) de province. Les Le Quesnoy et les Groseille, pour prendre une référence française. En échangeant le fils unique pour les uns, l’aîné pour les autres, le réalisateur s’amuse à dépeindre un Japon « dans le rang », moderne, froid, poli et un autre plus libre, un peu fantasque, joueur et rieur. Kore-eda va humaniser, déstabiliser le « monstre » paternel (un Japon rigide et qui cherche à tout prix le leadership), en évoquant par petites touches émotives à quel point il faut relativiser, s’amuser, et revenir au contact de la nature.

Là encore, on constate qu’il n’y a rien de neuf. Il faut tout le talent du réalisateur pour que la petite musique nous séduise par quelques tonalités singulières : les deux mères, l’une trop suave, l’autre pragmatique, en sont le plus bel exemple. Mais le film s’interroge avant tout sur ce qu’est la parentalité. Les liens du sang (les géniteurs) ou les liens du souvenir (les éducateurs) ? La filiation est perturbée. Père, mère et fils ne savent plus renouer le fil qui les reliait. Les enfants ne sont pas une marchandise comme les autres qu’on échange six ans après leur naissance. Le passé ne se défait pas simplement en voulant remettre de l’ordre dans l’état civil. Kore-eda nous berce avec une sonate pour mieux nous plonger dans un abîme existentiel troublant. Les masques tombent, les vérités sont lâchées. Tout se désagrège. Et les réparations financières, les pardons des responsables n’y suffiront pas.

Tragédie amère à l’image de cette photo de groupe réunissant les deux familles. S’il n’y avait cette ode à la fantaisie, on broierait du noir (en versant quelques larmes). Chacun jugera si la fin est heureuse ou pas, selon ses opinions sur le sujet. Le réalisateur a cependant fait son choix. La sonate est plus légère que grave. Bouleversant, le père implore un pardon au fils, et au bout du chemin, l’un et l’autre se rejoignent pour que le gamin retrouve la direction des pas de son père. Hymne à l’amour, à l’affection et au pardon, Tel père tel fils ne veut pas être parfait : l’erreur est humaine, et parfois elle produit de belles choses. Comme cette forêt artificielle où se greffe un éco-système : il faut du temps pour que végétaux et insectes s’épanouissent et se sentent chez eux.

vincy



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