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Le grand soir

Certain Regard
France / sortie le 06.06.2012


C’EST DU FRONTAL





«- Conne. Conne. Conne.»

Kervern et Delépine continuent d’azimuter le cinéma français avec une vision formellement délirante d’une société fondamentalement malade. Le grand soir, promesse utopique d’une révolution qui ne pourrait naître que dans ces no man’s land que sont les faubourgs des villes d’aujourd’hui - quadrillées de surfaces commerciales, rond points routiers, enseignes, panneaux, et parkings - n’échappe pas à cette règle. Pourtant, après une heure et demi où, parfois on rigole franchement, on se dit que le grand soir n’est pas pour demain.

Contrairement à Louise-Michel et Mammuth, beaucoup mieux maîtrisés, cette comédie foutraque ne sait où aller, comme égarée dans sa zone commerciale. . La révolution des losers n’aura pas lieu, le final est trop timide, petits bras, sans éclat et avec un manque d’inspiration assez sidérant. Il aurait pu survenir un quart d’heure plus tôt ou plus tard, on sent que le rendez-vous est manqué, qu’il n’y a personne pour accompagner cette famille dans leur désir de tout bazarder.
C’est à l’image du scénario décousu, inégal. Comme le rythme, qui parfois se relâche. D’excellentes séquences peuvent se succéder sans forcément faire un lien narratif cohérent. Des vignettes drôles (Depardieu en guest reste un grand moment de n’importe quoi) ou touchantes se collent ainsi les unes après les autres comme une suite de sketches. Heureusement, l’écriture ne manque jamais la bonne idée qui va nous régaler. Avec un ton caustique qui leur est propre, le duo Kervern/Delépine explose les conventions de la vie moyenne dans laquelle les occidentaux se sont anesthésiés. Dans ces zones sans aucun centre urbain ni lieu culturel, on bouffe et on achète des lits pour mieux dormir (et oublier ?).

Leur force est essentiellement du côté des personnages, des inadaptés, et des acteurs qui les incarnent. Dans le rôle du dynamiteur, Poelvoorde, qui fait face au conformiste Dupontel : deux France qui ne se parlent pas, ne s’écoutent pas. Deux visions du monde. La conventionnelle, petite bourgeoise, soumise, humiliée, résignée, qui respecte toutes les normes (même celles de la connerie). Une société où l’on filme le moindre incident avec son téléphone, où les caméras de surveillance nous traquent en permanence, où le népotisme reprend ses droits, une société presque morte, que l’on s’acharne à maintenir en vie... Et puis il y a l’anarchiste, révoltée pacifiquement, marginal, sans domicile fixe. Les dialogues bien frappés, les acteurs bien déjantés font le reste pour que ça explose dans tous les sens. Certaines répliques deviendront cultes. On sent le règlement de comptes, et ça procure un plaisir immense : « Il mange bio le bobo. Ton cancer aussi il sera bio. Et vous pouvez essayer les coccinelles pour votre chimio… » Sans parler de certaines situations allégorique et révélatrices de notre consumérisme absurde. A ce titre, la livraison du bébé au McDrive restera une scène à mettre dans les bêtisiers de l’année.

Allumée, la comédie qui vante le pétage de plomb bon enfant démontre hélas l’état préoccupant de notre environnement, où règne l’ennui, l’indifférence et l’irresponsabilité. Et la dictature des banquiers, des marques… Pour ça Kervern et Delépine n’ont pas changé leur vision du monde, rêvant toujours de lutte finale.
On est, cependant, davantage ému ou hilare quand ils filment les deux olibrius et leurs parents (merveilleuse Brigitte Fontaine qui donne un côté warholien au film). Frôlant le cynisme, ou extralucides, les auteurs nous dynamitent également la vision de la sacro-sainte famille. Avec une jouissance non dissimulée.
C’est pourtant cette même famille qui attendrit ce film punk et invertébré, plein de bonnes idées, mais sans LA grande idée. Comme une compilation d’observations justes qui ne parviennent pas à trouver les bonnes solutions, autres qu’un petit bricolage amusant pour emmerder le monde, en le faisant sourire. Et, ceci dit, ce n’est déjà pas si mal de sourire quand on voit la tristesse de notre civilisation.

vincy



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