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Cosmopolis

Sélection officielle - Compétition
/ sortie le 25.05.2012


LA CHUTE





«- Ma prostate est asymétrique. »

David Cronenberg n’a pas réussi à trouver ni la forme ni le tempo pour adapter Cosmopolis. Son film, proche de la claustrophobie, sans réellement la faire ressentir au spectateur, n’est qu’une succession de dialogues sur l’Etat d’un monde au bord du chaos, où les jeunes empereurs omniscients et cherchant l’équilibre sont bousculés par des éléments imprévisibles : variation d’une devise, manifestations d’anarchistes, colère du peuple… Cette suite d’échanges dialectiques et philosophiques sur le sexe, l’art, l’argent, le pouvoir, le cybercapitalisme, … forme une longue litanie stérile. Comme si le cinéaste avait voulu faire une synthèse philosophique, et finalement vaniteuse et même prétentieuse, de notre époque. Cosmopolis aurait pu être un documentaire, mais c’est une fiction.

Il est étonnant de voir à quel point le film de Cronenberg s’oppose à celui de Carax. Dans Holy Motors, la limousine blanche dépose le passager à chacune de ses destinations, où il change de personnalité pour s’adapter à la situation. Dans Cosmopolis, la même limousine blanche sert, au contraire, à être enfermé dans une bulle protectrice circulant dans le monde extérieur : Eric Paker (Pattinson) y reçoit les gens. Il n’en sort qu’à de très rares occasions, notamment pour sauver son couple en déliquescence (forcément une jolie jeune blonde richissime et poète, bref l’archétype même de l’épouse des grosses fortunes d’aujourd’hui). Sinon, tel les Rois d’autrefois, sa limousine lui sert de baisodrome, de bureau, de chiottes, de divan, et même de cabinet médical où il se fait masser la prostate par voie anale devant une de ses employés. Il se croit décidément tout permis, n’a aucune pudeur. Il est le Maître, milliardaire, pensant pouvoir tout acheter.

Au fil du film, ponctué par quelques moments d’action (brutale, soudaine, jamais palpitante), le Puissant va perdre ses oripeaux (cravate, veste…) et sa belle voiture blanche va se faire cabosser et tagger. C’est le début de la chute. La noirceur gagne un Robert Pattinson, crédible sans être réellement épatant, et la phase autodestructive va commencer. La déraison… Comme souvent chez le réalisateur canadien, l’ensemble est d’une froideur mécanique. Mais à vouloir trop viser la perfection, à l'instar de son personnage, il empêche son cinéma d’exister, contrairement à son personnage suicidaire. De tous ses films explorant les sujets de société, Cosmopolis est le seul à ne rien provoquer : ni émotion, ni choc visuel, ni admiration devant une certaine inventivité. Reconnaissons que certains dialogues font sourire, notamment pour leurs sous-entendus sexuels (« J’ai envie d’un truc épais et juteux »).

Collage de paroles à des visages et des corps, ce long, très long, voyage immobile, n’a d’intérêt que pour ce qui est dit. Ce qui est montré passe en arrière plan. Mais là où un Kiarostami (dans Ten par exemple) savait harmoniser un huis-clos étouffant dans une voiture avec la ville qu’elle traverse, Cronenberg n’en fait qu’un artifice parfois rébarbatif. « M’asseoir et parler, j’adore » énonce Paker. Forcément, il ne fait que ça. Tous ces bavardages, dont la surdose est atteinte dans le dernier acte, avec un face à face de 20 minutes dans un appartement miteux, nous conduisent à l'ennui, dont on ne ressort jamais. Les personnages expriment eux-mêmes leur embarras à ne pas tout comprendre en se demandant sans cesse ce que tout cela signifie…

C’est d’autant plus regrettable que, sur le fond, il y a de l’intérêt. Cette critique des caprices et de la cupidité d’une jeunesse qui a détruit le passé et qui ne fabrique pas l’avenir, obsédée par les informations en temps réel, à la nanoseconde près, est un vecteur de réflexions passionnantes. Mais sans distance, Cronenberg ne parvient pas à livrer une satire ou une farce ou même un film noir autour d’un sujet aussi contemporain. Peut-être, justement, parce qu’en le réalisant, en constatant que cette histoire faisait écho à l’actualité, le cinéaste n’a pas pu se détacher ni de l’œuvre littéraire, ni du contexte politico-économico-sociologique. Il n’en reste qu’un ersatz cynique d’une vision de la finance, avec un air de déjà entendu, sans que la caméra ne veuille illustrer le propos.

On est dans la tête d’un de ces jeunes prodiges dont la fortune est construite sur l’économie virtuelle. Le Moi absolu (« self totality »). Mais cette immersion ne nous captive jamais, comme si le film s’empêchait toute forme de variations, d’improvisations, d’inspirations. C’est aussi neutre qu’un fil d’informations défilant sur un écran. Même les menaces qui planent et la paralysie urbaine ne produisent aucun effet sur le spectateur. L’extérieur n’existe pas. C’est une donnée parmi d’autres. Et quand le personnage commence à errer, c’est pour subir un entartrage ridicule ou recevoir des tirs. On sent bien que le réalisateur a voulu faire quelque chose de singulier formellement. Mais le spectateur sera vite largué par ce déluge de paroles. Il y a un acte manqué derrière ce film. Tout ce texte, porté par des vedettes le plus souvent, n’a pas été traduit en images. Une confusion qui anéantit toute velléité de cette œuvre à vouloir être autre chose qu’un pensum avec des stars sexy et bien habillées.

Même la morale finale du film, quand l’ex-employé stressé et licencié, veut tuer son ex-patron, ne montre pas clairement la direction pourtant évidente de Cosmopolis. « Je voulais que vous me sauviez » dit-il en braquant son flingue sur l’Empereur ruiné. Or il est impossible qu’un homme se complaisant dans le contrôle et l’excès, ignorant le reste de l’humanité, se sentant immortel, puisse continuer d’exister. Son autodestruction est salutaire. Il n’y a aucune raison de dire cette phrase. Sinon, l’équilibre qui obsède tant ces puissants égocentriques serait le premier pas vers la dictature. En voulant le tuer, l’ex-employé rend un grand service à l’humanité.
On aurait surtout beaucoup aimé que Cronenberg ne s’autodétruise pas avec ce film tant on a déjà oublié les paroles et leur sens. Relisons plutôt le livre de Don DeLillo…

vincy



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