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festival-cannes.com
Eurydice, la pièce
Jean Anouilh

 

Vous n'avez encore rien vu

Sélection officielle - Compétition
France / sortie le 26.09.2012


L’ART DE LA RÉPÉTITION





«- Il ne faut pas croire exagérément au bonheur.»

Déconcertant, le dernier film de Resnais reste un film dans la lignée de sa filmographie : un brillant exercice de style. Hélas, malgré une mise en scène ciselée et perfectionniste, des effets visuels soignés, un cadrage parfait et une lumière étudiée jusque dans ses moindre détails, Vous n’avez encore rien vu a un air de déjà vu. Cette adaptation de deux pièces d’Anouilh produit surtout un ennui qui nous conduit aux limbes de la léthargie. Ce n’est certainement pas la faute au texte, toujours aussi beau et moderne. Mais à force de vouloir le respecter vénérablement, Resnais s’empêche de donner un quelconque rythme ou souffle à son film.

La promesse du titre, cette musique de Mark Snow qui résonne comme celle d’une série B en carton pâte des années 50, l’idée de faire interpréter les personnages par plusieurs acteurs différents auraient pu maintenir notre intérêt au delà du premier acte, de loin le plus réussi. Mais moins d’une heure après le premier carton, façon cinéma muet, la lassitude l’emporte sur la passion donnant ainsi raison à Orphée et Eurydice, qui craignent par dessus tout que que la routine fasse fléchir le désir.

Resnais ne manque pourtant pas d'idées ingénieuses, à commencer par son générique, ses décors somptueux, et même la présentation des acteurs, qui jouent leur propre rôle pour mieux jouer les protagonistes de la pièce. Un coup de fil : « Allo ? Sabine Azéma ? », « Allo ? Mathieu Amalric ? », « Allo ? Michel Piccoli ? » etc… Le film débute ainsi sur l’espoir d’un réalisme factice, d’un jeu de faux-semblants jouissif. Malheureusement, tous les procédés deviennent ici systématiques, et ces répétitions anesthésient toutes les pulsions créatives qui servent à faire décoller le récit, en vain.

Au cœur de ce "Playing / Not Playing", des comédiens d’un certain âge, impériaux dans leur fauteuil, qui ont joué Eurydice à travers les âges regardent une jeune troupe amateur qui interprète la même pièce dans un entrepôt désaffecté. Les premiers sont filmés par Resnais, majestueusement. La classe sénior poivre et sel (à trois exceptions). Les seconds sont captés par Denis Podalydès, avec fougue. La classe junior banlieusarde. Ce sont eux qui redonnent le goût de jouer aux anciens.
Mais là encore, Resnais manque d’habileté à les faire dialoguer entre eux ; à partir du deuxième acte, les amateurs disparaissent presque de l’écran où les Arditi, Wilson, et autres Girardot occupent désormais tout l'espace. L’interaction entre les « pros » et les jeunes disparaît, le jeu « improvisé » fait place à un jeu trop travaillé. Pire, on en vient à compter les points entre le couple Wilson /Consigny et Arditi/Azéma qui interprètent le couple Orphée/Eurydice. La comparaison est d’autant plus cruelle que le premier duo l’emporte haut la main sur l’autre, bien qu’il soit moins présent à l’image.

Après de longs tunnels de textes, parfois en plan fixe, et ce malgré l’élégance de l’ensemble, Vous n’avez encore rien vu ne nous captive que pour le propos d’Anouilh sur l’amour idéal entaché par les mensonges, le quotidien et les autres. La leçon de comédie devient une fiche de lecture pour lycéens passant le bac. Formellement belle, fondamentalement chiante. Et le final n’arrange rien. Un coup de théâtre artificiel et prévisible qui rappelle tous les récents films du cinéaste se concluant de manière absurde ou accidentelle. On ne sait plus très bien, alors, en tant que spectateur, si Resnais a voulu nous laisser en enfer ou nous faire revenir à la vie. Mais quitte à vivre, mieux vaut aller dans un café, embrasser la personne qu’on aime plutôt que de lui proposer deux heures dans le noir avec ce film. Car, paradoxe ultime, on a beau y parler d’amour absolu, l’œuvre est frigide et ne procure aucune effusion…

vincy



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