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Reality

Sélection officielle - Compétition
Italie / sortie le 03.10.2012


LA COUR DES MIRAGES





«- Ma retraite.
- C’est la seule chose qu’ils ne peuvent as vous prendre.
»

Après Gomorra, Matteo Garrone continue d’explorer les blessures apparentes d’une Italie en désintégration. Reality est une farce tragique sur les dégâts de l’ère Berlusconi. Dans la réalité, la pauvreté est partout, y compris chez les vieux, le chômage désespère les jeunes, et chacun y va de son système D, de ses arnaques et de ses petits trafics pour mettre de l’huile d’olive dans les spaghettis. Et puis il y a l’irréel. Le consumérisme (caddys remplis, enfants obèses), le bling bling (kitsch) et la télévision et le mirage de la célébrité. Une américanisation qui ote toutes les valeurs fondamentales de l’Italie : la seule qui parvient encore à résister est celle de la Famille.

L’Italie est ainsi filmée comme une société bruyante, généreuse, criarde, solidaire, mais aussi morte : couchés sur leur lit, affalés sur leur canapé, hypnotisés par le petit écran, les italiens s’enfoncent doucement dans un coma collectif. Reality, le titre du film, peut se lire à plusieurs degrés : le principe de réalité qui rappelle à l’ordre les rêveurs, la télé réalité qui créé un monde artificiel pour débrancher les cerveaux, ou la réalité de l’état du pays, en décomposition.

Le film est un conte. La séquence d’ouverture, magnifique, est une vue panoramique de Naples qui s’achève sur un carrosse princier se dirigeant vers un château, où ont lieu deux mariages. La satire n’est jamais loin. Garrone se moque ouvertement des penchants pour le grotesque de ses compatriotes. La musique d’Alexandre Desplats, très inspiré, y ajoute une tonalité légère alors que l’histoire va progressivement se concentrer sur la souffrance d’un homme. Un conte de la folie ordinaire dont le théâtre est un vieil immeuble communautaire où la vie jaillit de chaque fenêtre et un plateau de télévision où tout est factice. Même Cinecitta symbolise ce déclin italien : l’ancien studio mythique de cinéma est reconverti en QG d’une émission comme Loft Story (ici Il Grande Fratello).

Le personnage central est lui-même schizophrénique. Il rêve de paillettes, joue les vedettes avec perruques et faux-cils pour amuser sa famille tout en étant un humble poissonnier et père de famille comme il faut. A force de croire au miracle, il plonge dans un mirage. Pendant que les enfants font des bulles avec du savon, jeu ancien et universel, lui rêve d’être dans une bulle en plastique, toc, où les caméras sont partout. Il va sombrer dans la paranoïa, cherchant à devenir un autre (certes bon et altruiste) pour plaire. Pour mieux se perdre. Au départ, il est soutenu par tout le monde. Quand tout se gâte, il s’isole : il lui manque une case, enfermé dans sa case. Il préfère La Maison (télévisée) à sa « Casa » familiale. Grisé par les illusions, il va perdre le sens des réalités.

C’est un conte cruel et désenchanté. Le héros - instable, immature, illuminé, égocentrique, presque idiot (à l’instar des pantins qui comblent leur ennui dans l’émission) -, aspire, comme tous les autres, à une vie meilleure, une vie de pacotille vendue comme une pub, diffusée sur tous les écrans. De la propagande cathodique qui remplace la parole catholique.
Dans cette cité des Miracles, avec ses scènes de vie italienne à l’ancienne, Garrone recherche le temps perdu. Mais l’être s’efface au profit du paraître (malgré leurs corps difformes et leurs fringues tape-à-l’œil). Le poissonnier veut devenir star. Obstiné, il ira de l’autre côté des miroirs, quitte à perdre ce qu’il lui restait de raison.

Si sa mise en scène est parfois plus séduisante que dans Gomorra, Matteo Garrone patine un peu avec ses variations de rythme et un scénario parfois démonstratif. Mais Reality réussit à nous imprégner d’images fortes qui illustrent un discours troublant sur notre civilisation autodestructrice. Gomorra voulait être un choc, Reality préfère exploser le toc.

vincy



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