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Laurence Anyways

Certain Regard
/ sortie le 18.07.2012


LA FEMME EST L’AVENIR DE L’HOMME





«- J’ai jamais eu l’impression que tu étais ma mère.
- Bah moi j’ai jamais eu l’impression que tu étais mon fils… Par contre, j’ai l’impression que tu es ma fille
».

Il a voulu tuer la mère. Il a imaginé des amours à trois, avec une fille au milieu. Xavier Dolan continue d’explorer les femmes (fortes et décideuses) avec un homme qui voulait en être une, et son amie qui se sent tour à tour trahie, attendrie, solidaire puis bafouée. Cela aurait suffit à offrir une grande histoire. Le jeune cinéaste québécois est doué pour esthétiser (et normaliser) les amours les plus marginaux, pour transgresser en douceur les tabous et les interdits. Non qu’il invente quelque chose, mais il y apporte son style.

On ne peut pas dire que celui-ci ait beaucoup changé depuis Les amours imaginaires. Laurence Anyways est juste plus long (2h40 tout de même) car il se veut plus ample, plus épique. L’histoire s’étire sur dix ans. De quoi approfondir les vies de ces personnages qui ne parviennent à communiquer que lorsqu’ils sont au bord de la falaise, de la folie ou sur le fil. Dès la première séquence, on ressent les regards qui se pose sur Elle (ex-Lui). Le rejet, le jugement, la stupéfaction le dégoût malgré soi, la gêne. Ça dérange les passants, ça éblouit les spectateurs. Sa façon de filmer les regards sone très justement. Dolan continue de filmer au ralenti pour rendre son cinéma contemplatif et maniéré, d’user de la musique pour créer ses atmosphères, de suggérer plus que d’exhiber. En cela, nous sommes freinés. L’empathie que l’on devrait éprouver pour son personnage principal, ce fameux Laurence au prénom épicène (comme sa compagne qui répond au nom de Fred), n’atteint jamais le niveau attendu. Sa transformation est à peine crédible sous certains angles et malgré la belle performance de Melvil Poupaud. A force de ne pas revendiquer un cinéma « communautaire », Dolan passe à côté de son objectif : nous faire aimer un homme qu’il était et la femme qu’il devient.

«Ce n’est pas que j’aime les hommes, c’est que je n’aime pas être un homme ».

Laurence Anyways est une tragédie romantique qui frappe un couple heureux, connecté, fusionnel. Avec Dolan, l’œuvre devient davantage sensorielle que rationnelle. Cette quête égocentrique d’être quelqu’un d’autre bouleverse tout l’entourage (même si sa mère, merveilleuse Nathalie Baye, n’est pas surprise). Hélas, le scénario ne donne pas assez sa chance aux personnages secondaires (notamment la sœur de Fred, la troupe d’excentriques lynchiens) tout en multipliant les intrigues sans intérêt, même s’ils héritent tous d’une ou deux scènes marquantes. Non, résolument, le film se focalise sur un duo. Cela tenait en une heure trente. Mais il rajoute trop d’éléments dramatiques superflus, de clichés caricaturaux, d’ingrédients artistiques surchargés : tout cela nous conduit à une forme d’ennui, réveillé heureusement par la grâce des acteurs et quelques dialogues bien ciselés. Et ce jeu d’amants, d’aimants entre Elle (ex-Lui) et Elle nous séduit. Leurs explications, séparations, retrouvailles constituent en soi de beaux moments de cinéma.
Jamais, cependant, cela ne nous perturbe. Est-ce un bien ou un mal, cinématographiquement ? Pourquoi cette absence de trouble nous interpelle ? Le film est bien plus intéressant lorsqu’il aborde cette zone indéfinie où Elle (ex-Lui) cherche sa place, comme nous on se demanderait quelle serait notre réaction. Quand il est licencié, on se révolte. Quand il est séparé, on comprend. Dolan sait nous manipuler pour que l’on soit du bon côté du bord. Face à ce désir d’être une autre, nous compatissons. Maladie mentale ? En quel siècle vivons-nous !?

«Ça vous importe le regard ? »

Oui Monsieur Dolan, vous êtes un cinéaste portant l’étendard de tous les gays (J’ai tué ma mère), les bis (Les amours imaginaires) et désormais les transsexuels. N’en ayez pas honte. Vos histoires sont suffisamment universelles, vos personnages finalement assez chastes à l’image (mais obsédés sexuels si l’on décrypte bien), votre vision résolument insouciante mais réfléchie pour vous autoriser à être fier de votre rôle alors que l’homophobie croît dans nos sociétés.
Vous savez aussi, jeune homme, être subtil pour filmer un drame intime (le film ne manque pas de protagonistes qui souffrent intérieurement : la mère subissant le père, la femme qui se fait avorter, la transsexuelle qui assume son nouveau corps). Alors pourquoi le renier, maquiller tout cela derrière une œuvre qui refuse d’aller frontalement au bout des choses (certains ont osé montrer les corps et les stigmates) ? Spectateur, nous voici frustrés par une émotion qui tarde à venir. A force d’insister, magnifiquement, sur les regards (ceux qui les détournent comme ceux qui les plantent dans les yeux), de sublimer le look glam-Freaks des eighties, d’idolâtrer l’onirisme et l’amour idéal comme tous les romantiques, Laurence Anyways se perd parfois dans un éloge de la lenteur et un souci perfectionniste du détail là où le plus percutant est l’hystérie, la tragédie, la dépression, l’individualisme, l’impossible quête du bonheur qui se sauve dès qu’on le touche. Vous voulez flirter avec l'oeuvre de Michel Tremblay mais il vous en manque une rage issue de convictions plus profondes.
Xavier Dolan est toujours doué. Mais parfois hors-sujet. Il a « un certain regard » sur le monde. Un regard qui nous plaît. Maintenant qu’il s’est débarrassé de ses références, se faisant finalement référence à lui-même, il est temps de marquer le 7e art en laissant son influence. Que l’ambition cède à l’audace et que son cinéma se mette à nu, débarrassé de tous ses oripeaux et ses obsessions artistiques. A l’instar de Laurence qui se sent naturel en femme, on espère que votre prochain film sera plus naturel, plus touchant, bref sans complexes ni vanité.

vincy



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