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Pourquoi tu pleures?

Semaine critique - Séances spéciales
France / sortie le 15.06.2011


LA CORDE AU COU





Depuis l’Antiquité, le mariage fait rage et attire dans ses filets un bon nombre d’amants. Pourquoi les hétéros et aujourd’hui les homos sont-ils si prompts à convoler ? Pour acter leurs sentiments à la face du monde ? Consolider le lien ténu du désir ? Brandir un statut plus glorieux que le célibat ?...

Très benoîtement, je me suis longtemps représenté le mariage comme le sacre suprême de deux êtres attirés corps et âmes, enlacés par un flux brûlant. Collage torride qui finit le plus souvent par consumer les sentiments. D’où l’invention du divorce. Échappatoire salutaire à cette institution qui rogne l’attraction humaine par la légitimation de la sexualité. Car, sous couvert de sceller des alliances, accroître le pouvoir et les capitaux, soulager des impôts, la corde du mariage n’étrangle pas le cou, mais ligature là où ça pèche : au niveau de la ceinture. Région où le mélange des fluides devrait toujours prendre son pied au-delà des périmètres dictés par tous les au(hô)tels. De ville ou religieux.

Énièmes descendants d’Adam et Eve, le premier duo love épinglé par Dieu, Benjamin Biolay et Valérie Donzelli se croisent pour la première fois en 2008 devant la caméra de Katia Lewkowicz. Le temps d’un court-métrage, au milieu du brouhaha d’un goûter d’enfants, les jeunes gens se désirent du regard, imaginent leur lendemain avec marmaille, préfèrent ne pas céder aux battements de leur coeur. Cette histoire, promesse de cinéma grave et légère, s’intitule : C’est pour quand ?.

Quatre ans plus tard, Katia Lewkowicz pose une nouvelle question à Benjamin Biolay : Pourquoi tu pleures ? Dans ce premier long-métrage, Arnaud, trentenaire aux tendances lacrymales, s’apprête à épouser Anna alias Valérie Donzelli. Mais sa promise prend un malin plaisir à jouer les Arlésiennes. Le jeune homme esseulé rencontre Léa incarnée par Sarah Adler. Craquera, craquera pas ? Se mariera, se mariera pas ?... Pour répondre à cette incertitude existentielle, la réalisatrice sacrifie à la mode de la comédie. Genre des plus ardus qui fleurit chaque semaine dans les salles. Souvent pour le pire, rarement pour le meilleur.

Larmes de crocodile

Un trop plein de folie, de frénésie tue la fantaisie ! Pendant 1 heure 40, exposé au rythme effréné d’une caméra à l’épaule, Arnaud a le tournis. Sans malheureusement perdre l’équilibre tant le scénario et la réalisation souffrent du ressort vital à l’élaboration d’une comédie : la précision.

Comment craquer pour une fiancée qui s’escamote et s’éclate dans les jardins publics avec des minots de son âge mental ? Comment ne pas prendre les jambes à son cou devant une belle-famille étrangère à l’étrangeté si caricaturale, si artificielle ? Comment partager son désarroi avec une telle bande de potes ? Galerie de nantis qui se biturent entre le XIe arrondissement de Paris et la mairie de Montreuil. Brochette de bobos qui portent pauvres avec leurs cheveux en pétard, leur barbe hirsute, leurs guenilles délavées à 1000 euros. Par pitié ; Zadig, Voltaire et compagnie, cessez de polluer le cinéma français !

Heureusement, deux figures féminines essuient les pleurs d’Arnaud avec plus de subtilité. Nicole Garcia campe sa mère. Une Séfarade qui repousse de toutes ses forces ses origines. La comédienne trop éclipsée par la cinéaste, apporte une bourgeoise fébrilité très VIIe arrondissement à son personnage. Pour pousser son fiston à dire non, elle le papouille, le houspille, le gifle. Pour un peu, elle dénuderait son petit d’homme pour montrer comme il a bien poussé de partout !

Emmanuelle Devos, la grande sœur d’Arnaud, a la chance d’interpréter la partition la plus monolithique de la ruche. Rictus esquissé comme une blessure, l’aînée observe son cadet avec ce regard distancié qui n’appartient qu’à elle… ou presque. Car Devos et Biolay ont la même paire d’yeux. Quatre aquariums globuleux creusés dans le visage. Espaces uniques et profonds remplis de dérision, de sous-entendus, de non-dits. Pour le meilleur du film, le bon sens viril de Devos cisèle la candeur burlesque de Biolay.

Corps et visage en chewing-gum, mental non-engagé, BB compose en creux un anti-héros mélancolique, apathique, à la frange du poétique. En voyant chanceler cet "adulescent" des temps modernes, le spectateur rêve du jour où le chanteur épousera un rôle imprégné des turbulences d’Alfred de Musset et d’Antoine Doinel. Confessions volées d’un enfant du siècle. Hélas, ce n’est pas pour cette séance.

Benoit



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