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L'armée du crime

Sélection officielle - Hors compétition
France / sortie le 16.09.2009


LES PARTISANS





"La résistance, c'est vraiment pas un métier d'avenir."

Voir Robert Guédiguian adapter l'histoire tragique du groupe Manouchian semble comme une évidence. Pour le clin d'œil, bien sûr, lui-même étant d'origine arménienne. Mais surtout parce ces héros du passé, bien décidés à prendre les choses à mains pour changer le monde dans lequel ils vivent, sont des cousins pas si éloignés que ça de ceux que le réalisateur invente d'ordinaire. Avec toujours, en toile de fond, la nécessité de lutter, le pouvoir de la solidarité, l'importance du groupe et des familles qu'on se choisit, la soif de Justice et la supériorité de la conviction intime sur la règle froide et déshumanisée.

Un film dur et sombre

Pour autant, pas question pour le réalisateur d'utiliser cet épisode historique comme un prétexte pour parler de lui ou de ses obsessions. Au contraire, il s'efface presque totalement derrière son intrigue, aussi bien sur le plan psychologique (on est très clairement dans la distanciation) que formel (la mise en scène, très découpée pour les besoins du récit, est d'une épure presque aride). En tout logique, L'armée du crime est un film dur et sombre qui cherche à tout prix à dépeindre une réalité complexe, violente et honteuse. L'héroïsme, ici, n'est jamais très héroïque. Les actions sont de faible envergure, presque anecdotiques, et les combattants eux-mêmes font l'effet d'amateurs brimés et manipulés par des chefs aux intentions ambiguës.

Car Guédiguian n'hésite pas à démonter le mythe d'une résistance fraternelle et égalitaire en montrant les dissensions, les luttes de pouvoir et les intérêts personnels qui viennent parasiter les idéaux des partisans. Même en temps de guerre, il y a d'un côté ceux qui commandent, parfois en dépit de tout bon sens, et ceux qui prennent tous les risques.

Des personnages qui prennent vie

Pour autant, le film ne s'appesantit pas sur la trahison des chefs ou sur leurs impardonnables erreurs de jugement. Certes, Manouchian et ses amis ont été presque délibérément sacrifiés, mais eux-mêmes consentaient de tout cœur à ce sacrifice, et c'est ce que le cinéaste veut retenir. Il se concentre donc sur eux, les petits ouvriers et étudiants juifs, hongrois, roumains, arméniens ou encore espagnols qui, mus par une pulsion vitale, se sont élevés contre la dictature et le barbarisme. Il capte cet élan en suivant le parcours de plusieurs d'entre eux depuis le premier acte de résistance (un graffiti sur un mur, un meurtre, une distribution de tract…) jusqu'à la formation du groupe Manouchian, leur arrestation et leur exécution.

De ce fait, la première partie du film peut sembler scénaristiquement sèche, trop morcelée, nous faisant passer d'un personnage à un autre au travers de scènes courtes et presque allégoriques. C'est toute la difficulté du film choral en général : parvenir à faire exister chaque individu indépendamment du groupe et des autres, lui donner une consistance et une épaisseur qui l'extraient du simple stéréotype. Habitué de l'exercice (ses films sont rarement concentrés sur un seul individu), Guédiguian s'en sort bien. Devant sa caméra, les états d'âme et la lente conversion de Missak Manouchian (magistralement interprété par un Simon Abkarian habité) prennent vie, l'impulsivité et la colère de Marcel Rayman sont intelligemment servies par la force brute de Robinson Stévenin tandis que l'idéalisme de Thomas Elek trouve en Grégoire Leprince-Ringuet un écho saisissant. Les autres membres du groupe sont plus esquissés, faute de temps : mais comme le dit Robert Guédiguian, chacun d'eux aurait mérité un film à part entière… et sans doute valait-il mieux faire un choix douloureux que de se noyer dans une multitude de personnages à peine ébauchés.

De la rigueur à l'émotion

Déjà comme ça, L'armée du crime semble à certains moments manquer de cohésion, de souffle. L'intrigue reste fragmentée, chaque scène semblant une pièce du puzzle qui n'est totalement reconstitué qu'à la fin, nous laissant vaguement sur notre faim. Incontestablement, on est loin de l'intensité dramatique de L'armée des ombres, incontournable chef d'œuvre de Jean-Pierre Melville sur cette même époque de la résistance. La démarche de Guédiguian se veut peut-être plus en retrait, moins exemplaire ou flamboyante. Son respect pour ses personnages est flagrant, indubitable, mais il se garde de sombrer dans l'élégie.

L'hommage, à ses yeux, ne peut passer que par une immense rigueur, une mise en scène au cordeau et un choix drastique de ce qui est montré (quelques actes de violence, plusieurs scènes éprouvantes de torture) et de ce qui ne l'est pas (l'exécution finale). Si l'émotion surgit au détour d'une scène, elle n'est donc jamais provoquée artificiellement. Même chose pour la colère, inévitable quand il s'agit des exactions nazies couplées à celles de Vichy. Faisant sienne la noblesse d'esprit de Missak Manouchian (dont la dernière lettre, mise en musique avec succès par Léo Ferré, précise "je n'ai pas de haine pour le peuple allemand"), Guédiguian s'interdit toute surenchère, tout sentimentalisme rancunier ou vengeur. Il s'en tient aux faits et il a raison : traités de cette façon, ils parlent d'eux-mêmes.

MpM



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