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Etreintes brisées (Los abrazos rotos)

Sélection officielle - Compétition
Espagne / sortie le 20.05.2009


PARLE AVEC LUI





«- Vivre dans l’obscurité c’est la mort.»

Il est toujours délicat lorsqu’on admire le travail d’un cinéaste depuis ses débuts d’avoir été légèrement déçu par sa dernière œuvre. Etreintes brisées n’est pas le plus grand film d’Almodovar. Il a les maladresses de ceux qui ont servi de transition dans sa filmographie. Quinze ans après avoir abandonné le ton de la Movida, il opte pour une histoire plus « adulte », plus « masculine » aussi. Mais il a de la difficulté à installer son récit, ses personnages. Ces va-et-vient dans le temps complexifie inutilement une histoire déjà assez emmêlée. Cette histoire de secrets ne parvient pas, ironiquement, à nous intriguer au moment de leurs révélations.
Cependant le film ne manque pas d’allure et le ton pourrait augurer, comme La fleur de mon secret avait préfiguré Tout sur ma mère, de films où la nostalgie d’un passé sombre et le désir de vivre pleinement le présent, éclairent une nouvelle vision du réalisateur.

La signature du cinéaste est présente dès les premiers plans. Un regard singulier sur un tête-à-tête banal pour introduire une série de trahisons, passions, violences et tromperies.
Le scénario fait des allers-retours dans le temps: l’histoire se déroule entre la première moitié des années 90 et aujourd’hui. En puisant dans ses souvenirs, il restitue une époque qui semble bien lointaine : une Espagne arriviste, peuplée de nouveaux riches. Il s’agit surtout, et la scène finale est anthologique pour cela, d’un film-miroir à Femmes au bord de la crise de nerfs, sa comédie emblématique, contrastant ainsi avec la tragédie vécue des personnages d’Etreintes brisées. Penelope Cruz en double de Carmen Maura nous refait le coup du lit brûlé, du gaspaccio qu’il ne faut pas boire, ou de la valise prête à partir. On y croise avec jubilation les protagonistes féminines de cette comédie, et le doublage joue là encore un rôle primordial dans l’énigme. Almodovar en profite pour revisiter son oeuvre, se créant un double (Mateo Blanco / Harry Caine, interprété par Lluis Homar). Il se concentre essentiellement sur une partie de sa filmographie qui s’étend de 1988 à 1997 avec Angelina Molina (qui voit en Penelope Cruz ce qu’elle était dans En chair et en os), de talons aiguilles (ici très vermillons) ou d’un caméraman obsessionnel (Kika), dérivé homo et pervers de ce qu’aurait pu être Pedro A. Fétichiste, l’auteur va même jusqu’à inventer un personnage de méchant (qui a des airs de Claude Rains) qui s’épanouit dans le BTP, à l’instar de son producteur de l’époque, Martin Bouygues.

Mais le film n’est pas une remise en question ou même une interrogation de son travail. Toujours sur sa voie exploratrice des nuances de la rédemption, Almodovar fouille un peu plus les chemins de la résurrection. On peut survivre, et renaître différent. Mais on a toujours besoin de se souvenir. On peut aussi mourir, et rester éternel grâce au cinéma. Ces étreintes brisées sont ces impossibilités d’aimer, de laisser l’autre libre, de respecter cet élan qui nous échappe, de se casser en deux parce que l’autre nous sert trop fort. L’étreinte peut-être aimante, consolante, réconfortante, apaisante, passionnelle, charnelle, débout, allongée, assise, de dos, d’espoir. Tout le monde s’embrasse mais ne dit pas « I love You ». Le maître de la movida espagnole signe ainsi une oeuvre noire, romantique (dans son sens littéraire), pas forcément chaleureuse, même s’il n’oublie pas d’être drôle (l’histoire de vampires est à ce titre délirante).

Le réalisateur n’a pas perdu son savoir-faire visuel. Ces mains qui lisent le braille ou, plus tard, une image agrandie d’un baiser sur un écran, se font écho. La plus belle restant sans doute lorsque la muse révèle à son mari qu’elle le quitte en se doublant elle-même sur une vidéo sans son. La vérité et la culpabilité, la bonne et la mauvaise conscience n’avaient peut-être pas besoin d’un montage si alambiqué pour arriver à destination. Le spectateur lui est resté bien clairvoyant, aspiré par cette embrassade passionnelle. Depuis La mauvaise éducation, Almodovar n’en a pas fini avec son passé ni avec cette Espagne qui doit désormais affronter ses cauchemars d’antan.

Il continue ainsi d’aborder d’autres tangentes. Les relations père / fils, la vision d’une jeunesse avide de sensations, quitte à être dans la destruction, l’idée de transmission sont autant de sujets qu’il frôle. Peut-être inégal, sans aucun doute précis, artistiquement fidèle, le film, tacheté du rouge sang, laisse ici et là quelques traces pour nous indiquer le chemin qu’il va suivre. Ce film avec Ingrid Bergman où l ‘on nous annonce « ils ont trouvé la mort ensemble » anticipe ce qui va arriver. La carte de l’Espagne collée au mur nous montre bien l’existence des Canaries où les destins se briseront (comme celui d’une Romy Schneider, dans la loge de l’actrice jouée par Pénélope Cruz). Sans parler de ce cœur scotché à côté de la porte qui va disparaître, avec les années, pour des croix (« cruz ») comme autant de signes intangibles mais bien visibles de ce qu’il veut révéler : l’existence d’un fantôme, comme dans Volver (avec lequel il partage de nombreuses comédiennes), mais qui hante plutôt les souvenirs et les images. Cette croix que tout le monde porte est évidemment le destin de cette secrétaire et actrice jouée par Pénélope Cruz (« croix »). Almodovar s’amuse avec elle comme on joue à la poupée (perruquée, déshabillée, maquillée). Une star piégée dans un bal (trappe), dont la beauté étourdit d’amour le réalisateur (le faux et le vrai) les rendant ainsi aveugles et aveuglés.

vincy



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